Economie

Les tribulations de l'Obamacare    

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Mathieu Stassart

Mathieu Stassart

En 2014, les dépenses liées aux soins de santé représentaient 17 % du PIB (1) des États- Unis. Par comparaison, en Belgique, le coût avoisine les 10 %. "Au moins trois facteurs expliquent le coût plus élevé du système de soins aux États-Unis, explique Bart Kerremans, politologue à la Katholieke Universiteit Leuven. Dans le système belge, on doit s'assurer de toute façon. Cela crée un bon mixte entre personnes en bonne santé et malades."

Contrairement à la plupart des pays industrialisés, les États-Unis ne disposent pas de système d'assurance maladie universelle. "Autre facteur d'augmentation des coûts : aux États-Unis, beaucoup de gens ne sont pas en mesure de se soigner et finissent par débarquer aux urgences. Enfin, outre- Atlantique, nombre de médecins souscrivent à de coûteuses assurances privées, pour se couvrir lorsqu'ils font face à des procès en cas de faute médicale."

Bien que coûteux, le système états-unien se révèle à bien des égards moins efficace qu'ailleurs. L'espérance de vie, plus faible que dans la plupart des pays industrialisés, en est un témoin marquant. Lors de la campagne électorale précédant son élection en 2009, Barack Obama avait fait de la réforme des soins de santé un important cheval de bataille. L'adoption de cette loi ne s'est pas réalisée sans douleur ni sans de profondes adaptations.

Comment c'était, avant l'Obamacare ?  

Au pays de l'oncle Sam, différents systèmes d'assurances privés et publiques coexistent. En 2010, environ 60 % des états-uniens disposent d'une couverture contractée auprès de compagnies d'assurances privées, via leur employeur. Certaines catégories de la population, considérées comme plus vulnérables, bénéficient de programmes de protections publiques. Le premier, nommé Medicaid, s'adresse aux personnes en situation de pauvreté. Le second, Medicare, est voué aux plus de 65 ans − qui ont cotisé durant leur vie professionnelle − ainsi qu'aux personnes gravement handicapées. Restent 45 millions de personnes, soit environ 15 % de la population états-unienne, sans aucune couverture. Nombreux sont les citoyens actifs non-couverts via leur employeurs et incapables de financer les onéreuses couvertures personnelles.  

Qu'est-ce qui a changé ? 

Avec l'Obamacare, la souscription à une assurance de santé est devenue obligatoire. Objectif poursuivi : faire diminuer le nombre de citoyens sans protection. "De ce point de vue, la réforme a fonctionné, avance Bart Kerremans. Le nombre d'états-uniens non couverts est passé de 15 % à 7 % de la population". Le projet initial du président démocrate était plus ambitieux encore.

"Au départ, Barack Obama voulait mettre en place un système d'assurance pris en charge par l'État, précise Bart Kerremans. "Cela aurait eu pour effet d'apporter une vraie alternative aux propositions des assureurs privés. Ceux-ci auraient donc dû aligner leur offre et offrir des couvertures concurrentielles, sous peine de voir leurs affiliés filer vers la couverture étatique. Ce projet initial a été abandonné par Barack Obama car il s'est heurté à de vives résistances. L'opposition fut majoritairement le fait des Républicains mais se manifesta aussi dans son propre camp. Les Démocrates les plus conservateurs ne voulaient en effet pas entendre parler d'interventionnisme étatique".

Cette opposition s'explique notamment par un facteur culturel. Aux États-Unis, nombreux sont les citoyens qui expriment une grande méfiance vis-à-vis des services publics et de l'intervention de l'État. 

Une couverture minimale 

Plutôt que de créer un large système public d'assurance, l'Obamacare a finalement favorisé la création d'un marché privé spécifique. Pour proposer leurs services en son sein, les assureurs privés devaient offrir une couverture minimale dans dix catégories de soins, les "health essential benefits" (2). Les personnes non assurées ont été invitées à y faire leur choix. En contrepartie de cette obligation, l'État a fourni des aides fiscales pour permettre à ces citoyens de s'assurer.

L'Obamacare a mis en place plusieurs autres mesures. "Désormais, les entreprises de plus de 50 travailleurs sont obligées de leur fournir une couverture santé, détaille Bart Kerremans. "Auparavant, l'assurance dans le cadre professionnel existait majoritairement dans les très grandes entreprises, de plus de 300 salariés."

En outre, l'accès au programme Medicaid − destiné aux plus dépourvus − a été étendu. Deux autres évolutions doivent encore être soulignées. L'Obamacare a mis fin au système des "pre-existing conditions", qu'on peut traduire par "conditions médicales préexistantes". Auparavant, les assureurs pouvaient refuser à quelqu'un de souscrire une police, sur base de ses antécédents médicaux (maladie chronique, cancer, etc.). Une manière aisée d'écarter des patients à risque, potentiellement plus onéreux. En outre, les jeunes bénéficient désormais du droit d'être couvert par la police d'assurance de leur parents, et ce jusqu'à l'âge de 26 ans.  

Les limites de l'Obamacare… 

En rendant obligatoire la souscription à une assurance, l'Obamacare comptait sur la répartition des risques pour inciter les assureurs à diminuer leurs prix. "Or, explique Bart Kerremans, les sanctions à l'égard des citoyens ne jouant pas le jeu se matérialisent sous la forme d'amendes. Celles-ci grimpent jusqu'à 650 dollars pour un adulte (un peu moins de 640 euros). Ce coût reste moins élevé que la souscription à une police d'assurance privée. Par conséquent, une part de citoyens américains en bonne santé font le choix de ne pas s'assurer et préfèrent payer l'amende au gouvernement. Les assureurs privés couvrent dès lors moins de gens en bonne santé. Et font face à des coûts plus élevés. Cela entraîne deux types de réaction de leur part : soit ils augmentent leurs primes, soit ils se retirent du marché régi par l'Obamacare. La première année qui a suivi la réforme, les primes sont restées stables, continue Bart Kerremans. Ensuite, elles ont grimpé en flèche. Dans un comté d'Arizona, certaines polices d'assurance ont vu leur prix augmenter de 60 %."

L'Obamacare est une réforme à portée fédérale, mais gérée et cofinancée par les États. Avec pour conséquence, une grande différence de couverture selon l'endroit où l’on réside. "Les milieux ruraux sont particulièrement touchés par le phénomène", précise Bart Kerremans. Ainsi, 19 États américains sur 50, parmi les plus pauvres et comptant de nombreux citoyens noirs, ont choisi de ne pas élargir l'accès au programme Medicaid.

 … et d'un modèle 

Plus globalement, la réforme n'a pas remis en cause la logique libérale à l'œuvre dans le système de santé états-unien. Et la régulation voulue à l'égard des acteurs privés du secteur, mus par la recherche du profit, a montré ses limites. En outre, l'Obamacare n'a pas permis de dépasser un système à deux vitesses, avec d'un côté des personnes assurées aux programmes nationaux ou partiellement couvertes, et de l'autre les bénéficiaires de protections généreuses mais onéreuses.

Les promesses de Donald Trump

Successeur de Barack Obama à la tête du pays, Donald Trump a affirmé sa volonté d'abroger la loi. Passés les effets d'annonce, le nouveau président semble avoir pris conscience de l'ampleur de la tâche. Fin mars, il a dû reporter in extremis un vote sur son projet de réforme initial, faute de soutien suffisant.

Dans son camp, Républicains ultra-conservateurs et modérés n'entendent en effet pas réformer de la même manière. Les premiers estimant la réforme de Trump trop proche de l'Obamacare, les seconds que la proposition du nouveau président priverait des millions d'états-uniens de couverture de santé. Trump se trouve dans l'obligation de dégager un consensus parmi ses alliés politiques. En outre, deux mesures de l'Obamacare ne semblent pas être vouées à disparaître. La possibilité pour les jeunes de rester couverts par leurs parents jusqu'à 26 ans. Peu onéreuse, elle ne suscite pas de grand débat.

"Quant à l'obligation d'assurer les citoyens aux antécédents médicaux, Trump ne la remet pas en cause, explique Bart Kerremans. Les assureurs garderaient donc les patients à risque, soit ceux qui leurs coûtent le plus d'argent. C'est une grande source de tension dans les débats actuels de la réforme. La prochaine étape se déroulera ce mois de mai, poursuit Bart Kerremans. Les assureurs doivent s'accorder sur le montant de leurs primes pour l'année 2018. Sans connaitre le futur cadre législatif, ils ne connaitront pas la hauteur des subsides. Ça les rend très nerveux."

Donald Trump a revu sa copie. Sa nouvelle proposition semble séduire l'aile la plus conservatrice de son parti. Selon l'ONG états-unienne AARP (American Association of Retired Person), la nouvelle mouture de Donald Trump pourrait faire perdre leur protection à 25 millions de citoyens (3). Cependant, à l'heure d'écrire ces lignes, elle n'a pas reçu le soutien des Républicains modérés. Il n'y a donc pas encore de vote prévu. 


Mise à jour - lundi 8 mai

Ce jeudi 4 mai, la Chambre des représentants a adopté un projet d'abrogation de l'Obamacare. 217 républicains ont appuyé le texte, les 193 démocrates et 20 républicains ont voté contre.

Ce projet de loi doit maintenant passer par la Chambre haute du Congrès : le Sénat. il sera examiné dans les prochaines semaines et risque d'être amendé en profondeur. En effet, nombre de sénateurs jugent ce projet inacceptable, en l'état. 

Source : AFP