Loisirs

À Lessines, le couvent-hôpital qui soignait les pauvres

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Entre médecine, herboristerie et religion, nous voilà invités à une rencontre avec des croyances, des théories médicales et des pratiques anciennes.<br />
© Francis Vauban<br />
Entre médecine, herboristerie et religion, nous voilà invités à une rencontre avec des croyances, des théories médicales et des pratiques anciennes.
© Francis Vauban
Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

1242. Alix de Rosoit vient d'hériter d’une fortune considérable de son mari tué à la guerre. Plutôt que de distribuer de l'argent aux pauvres comme le stipule le seigneur Arnould IV dans son testament, elle a cette judicieuse idée d'investir dans la fondation d’un hôpital pour les pauvres. C'est ainsi que voit le jour l’Hôtel-Dieu lessinois, dans la ligne du mouvement hospitalier qui se développa en Europe aux 12e et 13e siècles. Ces hôpitaux étaient destinés à accueillir les laissés-pour-compte de la société qui ne pouvaient se payer une médecine privée à domicile, réservée aux nobles et aux bourgeois. À Lessines, comme dans de nombreux Hôtels-Dieu, la communauté religieuse qui en avait la gestion suivait la règle de saint Augustin, basée sur le principe de charité, avec une organisation rigoureuse de la vie quotidienne. Ces femmes besogneuses consacraient une grande partie de leur temps au soin des malades. Mais elles avaient aussi une vie spirituelle riche, comme en témoignent de nombreuses œuvres artistiques. À l'époque, pour les religieuses, les soins de l’âme prévalaient sur les soins du corps. Il fallut attendre la Révolution française pour que la médicalisation des hôpitaux et la laïcisation du personnel hospitalier s'installent progressivement.

Une lente évolution architecturale

Les donations, privilèges et protections accordées par l’aristocratie et l’Église ont permis à l’hôpital de s’agrandir au cours des siècles. Aux 16e et 17e siècles, deux ailes ont complété le bâtiment d’origine. Le tout forme un quadrilatère en pur style gothique qui entoure un cloitré bordé d’arcades et de vitraux. Un siècle plus tard, a été érigée la ferme actuelle, reliée à l'hôpital par une passerelle qui enjambe la Dendre. Durant la majeure partie de son histoire, l’Hôpital Notre-Dame à la Rose a fonctionné en relative autarcie grâce à ses terres, sa ferme, sa glacière, son moulin, son jardin médicinal, sa pharmacie... Après 740 ans de soins, ce lieu devenu établissement gériatrique a fermé ses portes en 1980. Il a fallu toute la passion et l’opiniâtreté d’un groupe de bénévoles pour sauver ce joyau patrimonial d'un projet de démolition (destiné à implanter un parking !) et convaincre les autorités de le restaurer. Le classement de Notre-Dame à la Rose comme patrimoine exceptionnel de Wallonie en 1993 a permis de rassembler des fonds afin de lui donner une deuxième vie et permettre au public de le découvrir.

Un patrimoine exceptionnel

Dès l'entrée, on s'imprègne de l'ambiance de l'époque. On imagine l'indigent reçu dans le bureau de la Dame prieure, prié de passer d'abord par la chapelle pour y laver son âme, avant d'être conduit dans la salle des malades attenante, similaire à celle des Hospices de Beaune ayant servi de décor à une scène mythique de "La grande vadrouille". Là, le malade occupera un lit étroit, allongé tête-bêche avec un autre patient… On lui administrera l'une ou l'autre thérapie, telle que la saignée, l’administration de vomitifs ou un lavement, pour "purger" le corps et éliminer les humeurs viciées… Entre médecine, herboristerie et religion, nous voilà invités à une rencontre avec des croyances, des théories médicales et des pratiques anciennes. La visite guidée est passionnante, truffée d'anecdotes, de petites histoires qui illustrent la grande Histoire. De la chapelle baroque aux cellules des religieuses en passant par le réfectoire, la pharmacie, les salles des malades ou encore la chambre réservée à l'évêché, en tout une vingtaine de pièces sont admirablement reconstituées. Mobiliers, boiseries, tableaux, bibelots, ouvrages… : les collections artistiques contribuent à recréer une atmosphère dans ce lieu où le temps semble s’être arrêté. Fait remarquable : la grande majorité des objets proviennent de l’Hôtel-Dieu lui-même, offerts par la famille des jeunes filles entrées en religion et des dames prieures. L’Hôpital Notre-Dame à la Rose héberge aussi une impressionnante collection de matériels médicaux et instruments chirurgicaux qui témoignent de l’évolution de la médecine. Quant à la pharmacie, réputée bien au-delà des murs de l'Hôpital, elle a conservé ses meubles datant du 19e siècle ainsi que ses nombreux pots, flacons et autres ustensiles. Enfin, on ne quittera pas les lieux sans passer par le jardin de plantes médicinales où il fait bon se promener. Pour chaque plante, un panneau didactique détaille ses propriétés, ses indications et les façons de l’utiliser.

>> Plus d'infos : Hôpital Notre-Dame à la Rose, place Alix de Rosoit à 7860 Lessines • Du mardi au vendredi, de 14h à 18h et les WE et jours fériés, de 14h à 18h30 • Visite libre (audioguide) ou guidée le WE à 15h (2h) • Prix plein : 13€ (réductions et gratuité possibles) • restauration sur place • 068/33.24.03 • plus d’infos et programme des activités et animations sur notredamealarose.be

Qui est Notre-Dame à la Rose ?

L'hôpital de Lessines doit son nom à une de ses religieuses, Sœur Marie-Rose Carouy qui, à la fin du 19e siècle, a inventé un médicament très efficace pour traiter les maladies de la peau et les ulcères : l'Helkiase. Il s’agissait vraisemblablement d’un puissant antiseptique composé notamment de bichlorure de mercure. On le produisait sous différentes formes : en poudre rose qui, mélangée à de l’eau, donnait une pommade, ou en sublimé liquide. De nombreux témoignages (lettres de médecins ou de malades guéris, articles de presse…) attestent des effets miraculeux de ce remède. Les religieuses le commercialisèrent jusqu’en Inde et aux États-Unis. La vente s’arrêta peu avant la seconde Guerre mondiale, sans doute en raison de la découverte des effets secondaires dangereux du mercure.