Loisirs

Levons le nez

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Les yeux dans les nuages

Que de chaleur, cet été ! Que de nids de guêpes installés dans les anfractuosités de nos murs et corniches ! Inquiets devant cette prolifération bourdonnante, certains, le nez en l'air, auront peut-être remarqué l'afflux des hirondelles sur les fils électriques de nos rues et campagnes.

Août est en effet, traditionnellement, le dernier moment possible pour se gaver d'insectes et faire le plein d'énergie avant la grande migration vers la partie sud de l'Afrique, histoire d'y passer l'hiver. Eh oui, la deuxième partie des vacances scolaires marque le grand départ vers le sud pour nombre de nos espèces d'oiseaux. Si la plupart migrent la nuit ou d'une façon peu spectaculaire, il n'en va pas de même pour les cigognes, qui ne dédaignent pas un petit repos en août ou septembre au sommet des lampes de nos autoroutes. À la mer, si les conditions météo sont favorables, certains auront peut-être la chance d'assister à la migration des sternes, ces oiseaux maritimes dotés d'un superbe aérodynamisme, habitués à survoler les baigneurs lors de leur voyage qui les mènera, par la seule force de leurs ailes pointues, jus qu'en... Afri que du Sud ! Août est aussi le meilleur moment pour se familiariser aux étoiles filantes dans le ciel nocturne en compagnie des astronomes amateurs, mobilisés pour l'occasion. Sans oublier les chéiropérologues de Natagora lors de la Nuit europé enne des chauves-souris, le samedi 25 août. Trop calme et trop "nature", tout cela ? Tant qu'à risquer le torticolis, pourquoi ne pas s'intéresser à ce rassemblement exceptionnel d'aéromodélisme organisé à Gembloux les 25 et 26 août, prétexte à retracer l'histoire de l'aviation belge ?

Plus d'infos : Du 8 au 14 août, la Fédération des astronomes amateurs organise de nombreuses sorties en soirée d'observation du ciel, destinées aux non-spécialistes : www.ffaab.be • Le programme de la Nuit européenne des chauves-souris est disponible sur www.nec.natagora.be et celui du rassemblement d'aéromodélisme sur www.lesaccrosduservo.be

// Philippe Lamotte

Des fragments d'ailleurs

Sa grande carcasse blanche trône au milieu de la cuisine. A priori, rien ne la distingue de ses frères d'usine. Mêmes lignes droites, même gabarit, même température. Pourtant, son corps revêt un costume chatoyant fait de morceaux de papiers. Cartes postales aimantées, récits d'ailleurs.

Elles ont été écrites à la terrasse d'un café de Provence ou sur le parvis d'une église espagnole. Choisies dans une librairie de village ou dans un magasin de souvenirs d'une métropole. L'une déclame la recette d'une ratatouille, l'autre représente un immense chat fait de fleurs, œuvre d'art à bord de fleuve.

Une autre encore collectionne les célèbres Dublin doors, ces portes colorées qu'on trouve dans la capitale irlandaise.

Tour à tour belles, élégantes, criardes, kitch, sobres, chamarrées, banales… Lorsqu'on les reçoit, elles dessinent un sourire, font rire aux éclats, suscitent l'émotion ou la pensée complice. Car on sait que, quelque jours plus tôt, le signataire a fait une pause dans son voyage. Il s'est arrêté quelques instants pour nous choisir une carte. Pas n'importe laquelle, non. Une carte spécialement pour nous. Une carte qui nous va bien. Ensuite il s'est attablé, a réfléchi à ce qu'il allait nous écrire. Quelques jours plus tard, la voilà, dans notre boîte aux lettres, après avoir parcouru quelques centaines, quelques milliers de kilomètres.

Elle ira ensuite rejoindre ses consœurs. Ensemble, elles habillent désormais ce frigo auparavant trop pâle. De quoi susciter l'envie, à son tour, de prendre quelques minutes durant ses vacances pour penser à ses proches. De parcourir les rues à la recherche du bureau de poste local. Et d'ajouter, nous aussi, une touche de couleur au frigo de nos amis.

// Mathieu Stassart

Se rendre disponible

Ils sont nombreux, aux terrasses des cafés, à pianoter frénétiquement sur leurs smartphones. Ici et ailleurs à la fois : la modernité permet l'ubiquité. Et comme toute médaille, elle a son revers. Un voile d'absence passe sur les yeux des attablés. Leurs corps se font face, les esprits sont ailleurs. Et si se débrancher permettait de se reconnecter aux autres ?

"C’est donc ça le téléphone ? On vous sonne comme un domestique et vous accourez !". Déjà au siècle passé, le peintre impressionniste Edgar Degas semblait avoir saisi de quelle manière les évolutions technologiques pouvaient se refermer sur nous comme un piège. Aujourd'hui, les barrières de temps et d'espace sont tombées. En quelques secondes, nous atteignons – virtuellement – l'autre bout de la terre. Pour cela, nous avons commis un pacte. Le monde nous est désormais atteignable. Mais en échange, nous nous devons d'être disponible, à tout, tout de suite. Nous nous soumettons à la dictature de l'instantanéité. Un bref coup d'œil à ceci, un rapide regard à ça. Soudain, un message apparait : on est sommé de répondre, et vite. Jusqu'à se laisser emporter par les flots de notifications qui nous assaillent, qui exigent notre attention. Jusqu'à ne plus goûter pleinement aux instants que nous vivons.

Vivre sans 4G, sans WiFi… vous n'y pensez pas ? Non, bien sûr. Enfin, pas entièrement du moins. Mais reprendre parfois le contrôle, ça, oui. S'offrir des moments de déconnection. Ralentir un peu le temps. Choisir, en somme, quand on se rend disponible au monde, et quand on décide de s'ouvrir aux gens, assis, là, juste en face de nous.

// Mathieu Stassart

Montre-moi ma ville

Dans un train, fixer un visage et se dire qu'il ne nous est pas étranger. Solliciter sa mémoire… en vain. Pas un nom, pas un souvenir ne remontent à la surface. Dans le doute, garder pour soi le "bonjour" que l'on avait au bord des lèvres.

Et se rendre compte, plus tard, que ce visage apparaît fréquemment sur notre mur Facebook. Une "amitié" vague, acceptée il y a une dizaine d'années. Un nom surgit alors. Avec lui, des photos de vacances, d'assiettes estivales savourées en terrasse et du beau sourire du petit dernier. Avoir accès à l'intimité d'une personne et ne pas la reconnaitre quand on la croise… Une urgence, alors, s'impose. Il est temps de poser à nouveau le regard sur les humains et les espaces qui nous entourent.

Un petit coup de pouce ? La Belgique compte neuf réseaux de greeters. À Bruxelles, Liège, Anvers, Hoegaarden… ces amoureux de leur ville la font découvrir aux curieux. Bénévolement. Par simple envie d'échanges. Laurent Jaspers préfère le terme balade à celui de visite. Ce Liégeois trentenaire – greeter depuis trois ans – n'aime rien de plus que de partager ses trouvailles : une impasse secrète, une plaque de rue insolite, un chou - ette endroit pour un petit-déjeuner... "Et parfois, la bise polie lors du 'bonjour' se transforme en grande accolade au terme de la balade", ajoute Philippine Nicaise, responsable du réseau des greeters bruxellois. "Ces contacts privilégiés s'inscrivent souvent dans la durée, des liens d'amitié se créent, et pour le greeter, c'est aussi une façon de voyager sans bouger du pays". Qui dit greeters ne dit pas forcément touristes. Et si, pendant les vacances, on prenait le temps de papoter avec ceux qui vivent à côté de nous ? Si on échan geait nos bons plans ? Histoire, sur notre mur Facebook, d'ajouter des souvenirs plutôt que des visages.

Plus d'infos : www.greeters.brusselswww.liegetourisme.be/greeterswww.walloniebelgiquetourisme.be

// Estelle Toscanucci

Le plaisir de se perdre

Le réflexe n'a pas vingt ans. Mais il a conquis nombre d'entre nous, surtout lorsque nous quittons nos sentiers battus. Le recours à la technologie GPS est entré dans nos mœurs, au point de remplacer notre sens de l'orientation, de dessiner notre paysage. Et si les satellites cessaient de nous guider…

Quoi de plus facile pour aller directement d'un point A à un point B ? Quoi de plus rassurant pour s'aventurer en terres inconnues ? Les avantages du système GPS – soutenu par une trentaine de satellites qui quadrillent la planète – ont fait leurs preuves; non sans avoir révélé quelques inconvénients. Comme des œillères, le GPS a tendance à cadrer notre regard sur un trajet, faisant fi des alentours. Il réduit notre capacité à nous souvenir des environnements que nous traversons. Il privilégie l'efficacité du plus court, s'alerte d'un changement d'itinéraire s'il nous prend l'envie d'emprunter un joli chemin de traverse, de satisfaire notre attrait pour un bled à l'horizon. Il aurait même un effet sur notre cerveau – en particulier sur l'hippocampe. Faute de stimulations, il altère notre capacité à nous repérer dans l'espace, à fabriquer une carte mentale de notre environnement. 

Ce n'est sans doute pas un hasard, si le GPS ne remplace pas les cartes topographiques quand nous nous mettons en mode "balade", en mode "découvertes". L'Institut géographique national (IGN) le constate : les cartes à l'échelle 1: 20.000 ou 1:10.000 m. ont toujours beaucoup de succès. Leur vue d'ensemble renseigne le voyageur sur les alentours ; elles lui donnent des indices qui stimulent sa curiosité. Avec elles, une alternative est toujours possible; faire face à l'imprévu est aisé. Elles inscrivent les chemins empruntés dans un plaisir long : de la prépa - ration d'un trajet – avant-goût du voyage – à son souvenir. Nombre seraient ceux qui annotent leurs cartes, balisant l'aventure pour eux ou d'autres qui les suivront. Nombre sont ceux aussi qui profitent de la possibilité de faire imprimer par l'IGN leur carte, ciblant un région, un trajet (www.ngi.be). Technologie et voyage peuvent faire bon ménage. Mais expérimenter la dérive, sans aucun support de cartes, peut aussi mener à de belles aventures.

// Catherine Daloze

S’imprégner d’une ambiance

Ils sont nombreux les parcs, jardins, terrasses et autres espaces publics où il fait bon s’asseoir, siroter un verre, flâner… Ici ou ailleurs, laissons-nous envahir par des atmosphères enveloppantes et observons tout simplement la vie qui s'écoule autour de nous en laissant le temps s’égrener.

"Certains lieux se gravent à jamais en vous par le rayonnement secret, spirituel, de ceux qui les habitent. C'est ce qu'on appelle l'atmosphère", écrivait Janine Boissard dans son roman "Vous verrez...vous m'aimerez". Atmosphère. À ce mot, chacun associera sans doute une image fugace ou un souvenir précis de vacances : un monastère tout blanc perché sur une colline, un marché coloré grouillant de monde, la terrasse d'un café qui s'éveille au petit matin, une joyeuse guinguette au bord d'un lac, la place d'un village qui s'anime autour de musiciens de rue… Il n'est pas nécessaire d'aller au bout du monde pour s'imprégner d’une ambiance authentique. Il suffit de se poser sur un banc, de se lover dans un fauteuil confortable à la terrasse d'un café ou encore de se promener. Et d'ouvrir grands les yeux autour de soi. Nat et Antoine, deux observateurs aguerris, partagent leur plaisir. "J'aime capturer des attitudes, des bribes de vie, deviner qui se cache derrière les ombres que j'aperçois, raconte Nat, une Française qui a définitivement posé ses valises en Turquie (1). Lors qu'une scène du quotidien mérite qu'on s'y attarde, la regarder de plus près fait partie de mes occupations préférées. C'est tout un art de vivre qui se dégage de ces scènes".

Le photographe Antoine Geiger, quant à lui, aime à s'imprégner d'ambiances en immortalisant des dos anonymes (2). "Le dos c'est le verso de notre identité, notre face cachée, celle que nous ne maitrisons pas, celle qui nous révèle et nous trahit. Un dos n'est donc jamais vraiment anonyme. Au contraire on capte une sorte d'essence de la personnalité des gens, par une posture, un air, des vêtements, une coiffure. Le visage est un masque, pas le corps".

Pour capter une ambiance, tous nos sens sont aussi en éveil : l'odorat, l'ouïe, le toucher, la vue et parfois même le goût. Et d'autres sensations affectent tout naturellement notre perception des choses, comme la luminosité, la température, la météo ou encore le temps que l’on reste dans l'espace public dans lequel on se trouve ou que l’on traverse. Quoi qu'il en soit, laissons-nous surprendre par nos sensations. Et pourquoi pas, osons engager la conversation, provoquer la rencontre… et rompre l'anonymat.

// Joëlle Delvaux

À l'écoute du monde

Les oreilles n'ont pas de paupières. Les smartphones ou autres lecteurs MP3 sont dès lors sollicités pour se protéger des sons du réel jugés disgracieux. Entendre le monde, c'est déjà s'ouvrir à lui.

Tendre l'oreille n'est pas dénué d'intérêt. L'ouïe, le sens de l'alerte, est la première sollicitée au réveil et la dernière à capituler quand vient le sommeil. Elle a la particularité d'attirer au-dedans, au contraire du regard qui projette vers le dehors. "L'œil s'adresse à l'homme extérieur, l'oreille à l'hom me intérieur", disait le compositeur allemand Wagner.

Faut-il nécessairement se protéger les oreilles d'un casque audio ? Par sa nature même, écrit le compositeur et théoricien R. Murray Schafer (1), l'oreille exige que soient arrêtés les sons futiles ou gênants afin de permettre la concentration sur ceux qui ont une véritable importance. "Pour distinguer les sons qui importent, il faut parfois lutter contre les autres."

"Tomber le casque" pour découvrir de nouveaux paysages sonores, voilà l'objectif que certains se fixeront peut-être cet été. L'œil est l'organe sensoriel primaire ? Pourquoi ne pas laisser tomber ce "centrisme oculaire" pour mieux écouter ?

Peu importe le lieu qui vous accueille, la démarche est facile à mettre en œuvre : fermer les yeux, se concentrer sur ce qui est audible. Sans distraction visuelle, l'attention est portée par les autres sens, dont l'ouïe. La rumeur d'une ville, la musicalité d'une langue étrangère, le tintamarre d'une fête de village, le murmure d'un cours d'eau… sont-ils des bruits, ni musique ni sons, ou la musique du monde réel ?

Pour aller plus loin : www.desartsonnantsbis.com

// Matthieu Cornélis