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Le virtuel à l’assaut des phobies

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Julie Luong

Julie Luong

Traiter le mal par le mal ? Le principe est utilisé depuis longtemps en psychothérapie, notamment pour vaincre les phobies en exposant les patients, de manière accompagnée et progressive, à leurs plus grandes peurs. Avec pour objectif un déconditionnement puisque les phobies résultent ni plus ni moins d’un apprentissage. Pour des raisons complexes, notre cerveau a "appris" à se méfier de quelque chose, mais de manière disproportionnée. Le service de psychiatrie du CHU Brugmann est aujoud’hui l’un des rares à proposer, depuis un peu plus d’un an, des thérapies d’exposition à la réalité virtuelle, qui permettent aux patients de se confronter à la situation redoutée grâce à une immersion visuelle et auditive, comme dans un jeu vidéo 3D. "Pour des raisons logistiques, certaines expositions in vivo sont difficiles à réaliser. C’est le cas avec la peur de l’avion par exemple", indique Juliette Debeaud, psychiatre au CHU Brugmann. "Ce matin, je suis allée dans le métro avec une patiente qui a peur de la foule, mais même ça, c’est difficile à mettre en place car il faut le faire pendant le temps de la consultation. Et ça ne permet pas de s’appuyer vraiment sur l’habituation, c’est-à-dire sur des expositions répétées. En ce sens, la réalité virtuelle facilite les choses", raconte-t-elle. Pour les patients, il s’agit aussi d’une étape intermédiaire qui peut les sécuriser quand la situation réelle est trop confrontante, avec le risque de générer des crises d’angoisse.

Une exposition progressive

La thérapie par exposition à la réalité virtuelle commence toujours par une consultation visant à comprendre la phobie et son origine. "On analyse les pensées automatiques, les scénarios catastrophes que le patient imagine, on lui apprend aussi des techniques de relaxation et de respiration qui vont lui permettre de diminuer son anxiété avant et pendant lathérapie." Une hiérarchie des situations perçues comme étant les plus anxiogènes est ensuite établie. Par exemple, pour quelqu’un qui a peur de l’avion, le casque de réalité virtuelle le plongera d’abord dans une expérience immersive au sein d’un aéroport, puis dans l’avion, puis en vol, etc. De même, un patient qui a peur des araignées fera d’abord face à une araignée virtuelle qui se trouve au loin : au fur et mesure des séances, l’araignée se rapprochera. "Les patients ont souvent tendance à croire que l’anxiété augmente de manière exponentielle mais en réalité, c’est le contraire : l’anxiété augmente jusqu’à un plateau et à un moment, elle diminue. Cela est vrai pendant la séance, mais aussi au fil du temps, quand on s’expose régulièrement." Certes, la réalité virtuelle a ses limites : celles du son et de l’image. Les odeurs, par exemple, dont on connaît le lien très fort qu’elles entretiennent avec les émotions et notamment la peur, ne sont pas présentes, pas plus que le toucher. "C’est vrai et en même temps, l’image et le son, c’est déjà beaucoup ! Pour certains patients très phobiques, le simple fait de voir ou d’écrire le mot 'araignée' sur un papier va déjà générer des angoisses intenses. Ainsi, un premier exercice peut être de garder ce papier sur soi", illustre Juliette Debeaud.

Peur des araignées, mais aussi des serpents, des chiens, des pigeons, acrophobie (peur des hauteurs), agoraphobie (peur des lieux publics et des espaces ouverts), claustrophobie (peur de l'enfermement), glossophobie (peur de parler en public), aquaphobie (peur de l'eau), émétophobie (peur de vomir), amaxophobie (peur de conduire) ou encore peur du médecin et du dentiste : ce ne sont là que quelques-unes des phobies les plus courantes parmi les 400 à 500 répertoriées. Près d’une personne sur deux aurait au moins une phobie mais chez 5 à 10% de la population, cette peur aura d’importantes répercussions sur la qualité de vie, avec la mise en place de stratégies d’évitement et une anxiété anticipatoire. "Chez certaines personnes, cette anxiété dicte leur vie ! Certains agoraphobes par exemple ne voient plus personne, ne travaillent plus, n’arrivent pas à mener des choses qui ont du sens pour eux ni à agir en accord avec leurs valeurs"commente Juliette Debeaud. Tout est bien sûr une question de degré. L’émétophobie, par exemple, est souvent mal comprise car vomir suscite un dégoût chez les plupart des gens. "Mais une femme qui s’empêche d’avoir des enfants alors qu’elle en veut absolument parce qu’elle redoute les nausées des premiers mois de grossesse, c’est autre chose", illustre la spécialiste. La peur de parler en public ou de conduire peut quant à elle mener à une perte d’emploi. Même une "simple" phobie des araignées peut avoir des conséquences insoupçonnées. "Il y a des personnes qui vont refuser de partir en vacances dans un chalet par exemple, refuser d’aller dormir chez leurs amis et finalement ne plus les voir..."

Renforcements positifs

Irrationnelles par définition, les phobies mobilisent une région du cerveau bien précise, l’amygdale, siège de la peur et des signaux d’alerte liés à la survie. Ainsi, les troubles phobiques constitueraient un résidu des instincts de protection de l’espèce. "Certaines phobies ont une origine bien précise et identifiée : ainsi, des personnes qui sont restées coincées très longtemps dans un ascenseur vont parfois développer une claustrophobie. Il y a d’autres phobies dont l’origine est moins évidente. Mais certaines, comme celles des araignées et des serpents, s’expliquent d’un point de vue évolutionniste : ce sont des animaux potentiellement mortels." En raison de pré-dispositions génétiques et de l’histoire de vie, ces réflexes protecteurs peuvent prendre des proportions invalidantes chez certaines personnes. Heureusement, rien n’est jamais définitif. "L’anxiété fluctue au cours de la vie. C’est souvent par phases, en lien avec des périodes plus difficiles comme une rupture, un décès, un stress professionnel ou familial. Et généralement, plus on vieillit, moins on est anxieux", rassure Juliette Debeaud.

Si le nombre de séances nécessaire à une amélioration est variable, la plupart des patients voient leurs phobies diminuer au bout de quelques mois."Les dernières méta-analyses montrent une très bonne efficacité des thérapies d’exposition à la réalité virtuelle, malgré certains inconvénients liés à la 'cybersickness' : la réalité virtuelle peut parfois provoquer un genre de mal des transports, mais généralement, il suffit de diminuer la rapidité des mouvements pour que ça passe." Par ailleurs, ces thérapies, comme les TCC (thérapies cognitivo-comportementales) en général, sont parfois accusées de créer un "déplacement du symptôme" : certes, elles pourraient vous permettre d’oser prendre l’avion, mais votre anxiété se manifestera autrement tant que vous ne serez pas remonté aux origines du problème...

"Le déplacement du symptôme est une vieille critique de la psychanalyse, commente Juliette Debeaud. Ce qui est vrai, c’est que le maintien d’un trouble anxieux est lié à un renforcement positif, en ce sens qu’un agoraphobe qui reste chez lui va éprouver un soulagement à court terme, malgré le fait qu’il aurait aimé aller au restaurant. À force, les renforcements positifs peuvent être tellement importants que la personne reste là-dedans. Dans certains cas, le trouble anxieux permet aussi à la personne de ne pas travailler, d’avoir l’attention de sa famille et si ces 'bénéfices secondaires' sont importants pour elle, il est évident que la thérapie ne va pas marcher." C’est pourquoi toute approche cognitivo-comportementale se base sur une "balance décision nelle". "Quels sont les avantages et les inconvénients du comportement actuel ? Et si on change de comportement ? Au début, il y a toujours une phase d’ambivalence chez le patient jusqu’à ce qu’il prenne conscience des avantages qu’il y aurait à changer." Bien sûr, le soutien du thérapeute est essentiel pour permettre au patient de retrouver confiance en sa capacité à progresser alors qu’il a choisi de se confronter volontairement à ce qu’il craint le plus au monde ! Et pour que cette peur, parfois honteuse, ne lui dicte plus sa conduite.

Se relaxer avant une intervention

Les casques de réalité virtuelle sont aussi utilisés pour lutter contre l’anxiété et la douleur dans le cadre hospitalier, par exemple avant une intervention. Il s’agit alors de plonger le patient dans une ambiance relaxante (forêt, bord de mer...) afin de l’aider à se détendre. "Le casque est utilisé en fonction des besoins et toujours de manière complémentaire. Nous ne laissons jamais le patient seul avec son casque !", explique Manuelle Haas, infirmière référente de la Cellule douleur de l’hôpital d’Arlon, qui a acquis quatre casques depuis un an. "Cela peut être avant une intervention, ou même au bloc opératoire, quand il s’agit d’une anesthésie locale. Nous utilisons aussi des programmes enfants, quand des soins douloureux doivent être administrés en pédiatrie." Proche de la méditation guidée ou des techniques d’hypnose, l’exposition à la réalité virtuelle permet de faciliter la relaxation, dans le contexte souvent anxiogène de l’hôpital. En diminuant l’anxiété, il diminue la douleur et inversement. "En général, les patients sont très satisfaits, mais aussi étonnés par les images : ce ne sont pas des paysages forcément réalistes mais imaginaires, des arbres qui ne ressemblent pas tout à fait des arbres... mais si vous avez envie que ce soit un chêne, ce sera un chêne." Aux antipodes de la confrontation directe avec l’objet de la peur, cette utilisation vise l’évasion et la focalisation sur des sensations agréables. Ou comment on peut aussi traiter le mal par le bien...