Parentalité

Bégaiement : agir le plus tôt possible

6 min.
© ashton-bingham-113943-unsplash
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Propos recueillis par Estelle Toscanucci

Propos recueillis par Estelle Toscanucci

En Marche : quels sont les symptômes et les critères qui permettent de diagnostiquer un bégaiement ?

Anne-Lise Leclercq : le bégaiement se caractérise par des difficultés dans la fluidité de la parole : répétitions de phonèmes, de syllabes, de mots courts… mais également par des blocages et des allongements. Ce sont-là des signes qu'il y a une tension très forte, des spasmes dans le système moteur de production de la parole. Les causes du bégaiement sont neuro physiologiques. Chez les personnes qui en souffrent, le système neurologique de production de la parole s'est développé de manière un peu différente. Il est alors moins aisé d'intégrer des représentations de la parole et de les mettre rapidement en mouvement. Il y a aussi un excès de dopamine dans le système qui permet de coordonner rapidement et de manière fluide l'enchainement des mouvements de la parole et d'initier aussi ce mouvement. Il semble également qu'il y ait des facteurs biologiques héréditaires. Le bégaiement peut toucher plusieurs membres d'une même famille.

EM : le bégaiement peut-il apparaître à tout âge ?

ALL : l'apparition du bégaiement se manifeste en général avant 4 ans, lorsque l'enfant commence à faire des phrases de plus en plus complexes. Le bégaiement apparaît pendant cette phase où pour exprimer de plus en plus d'idées, l’enfant a besoin de davantage de mots pour les dire, et doit utiliser des structures syntaxiques complexes. 5 à 8% des jeunes enfants vont passer par une phase d'expression où il y aura du bégaiement. Trois-quarts d'entre eux vont récupérer spontanément. Avant 4 ans, autant de filles que de garçons sont touchés par le bégaiement, mais on remarque que davantage de filles récupèrent spontanément. À l'âge adulte, 1% de la population entre dans ces critères de bégaiement et il y a plus d'hommes que de femmes.

EM : si trois-quarts des enfants récupèrent spontanément, quand faut-il éventuellement s'alarmer ?

ALL : lorsque, après une période de 6 mois, le bégaiement est quotidien et persistant. Autre signal inquiétant : si l'enfant commence à avoir des mouvements associés au niveau du visage : clignements d'yeux qui s'ajoutent à la parole tendue, tensions très fortes au niveau de la mâchoire, élévation des sourcils … S'il s'agit d'un petit garçon et s'il y a des facteurs héréditaires, alors les risques que le bégaiement s'installe sont aussi plus importants. Il est alors primordial d'agir et de le traiter avant l'âge de 5 ou 6 ans. On peut non seulement éviter que ces mouvements persistent et les chances de récupérations complètes sont plus importantes.

EM : le bégaiement se manifeste-t-il uniquement lors de la communication avec autrui ?

ALL : normalement, il intervient en effet exclusivement dans le cadre de la communication. Le jeune enfant qui est seul et qui joue ne bégaie pas. Quand il s'adresse à l'autre, il peut bégayer. Et s’il est seul mais qu’il s’imagine parler à quelqu’un d’autre, il peut aussi bégayer. Au cours de sa vie, la personne peut passer par différentes phases de blocage : d'abord principalement sur les consonnes, puis les voyelles, puis telle consonne, puis tel mot ... Le problème est le même mais il se manifeste différemment au cours de la vie, et d'un individu à l'autre.

EM : l'enfant qui bégaie peut-il récupérer une parole fluide lorsqu'il grandit ?

ALL : on considère qu'au-delà de 5 ou 6 ans la récupération totale – sans contrôle sur la parole et sans travail – est très peu probable. La personne restera une personne qui bégaie, mais qui néanmoins peut, avec l'aide d'un logopède, s'appuyer sur des outils pour contrer le trouble lorsqu'elle le souhaite. Elle va apprendre une manière de parler un peu différente, où elle met en place des stratégies et des techniques lui permettant d'être fluide quand elle le décide. C'est un apprentissage intense qui nécessite beaucoup d'entrainement et une régularité. Malgré ces techniques, le bégaiement peut réapparaitre avec la fatigue. Mais plus il y a entrainement, mieux ça va et moins la personne devra déployer de l'énergie pour maîtriser sa parole. A contrario, avec certains adultes qui centrent toute leur attention sur leur parole, il faudra plutôt travailler le lâcher prise…

EM : comment se déroule l'apprentissage de ces techniques ?

ALL : chez l'enfant d'âge préscolaire, on va s'associer avec les parents. Car le travail doit être intensif. Les parents vont devenir les "coaches" de leur enfant au quotidien. Ils vont devoir mettre en pratique tous les jours avec l'enfant des techniques qu'ils auront apprises. À l'âge scolaire, les parents sont toujours importants mais c'est l'enfant qui est au coeur de la prise en charge de sa parole. À l'adolescence et à l'âge adulte, il y a toujours des choses efficaces qu'on peut mettre en place, mais, plus on avance en âge, plus cela va demander de l'effort. À ces âges plus avancés, les programmes qui ont montré le plus d'efficacité sur la fluidité de la parole, sont ceux qui apprennent à parler à un rythme plus adapté, avec une parole plus lente, des voyelles plus allongées, pour que la personne évite les blocages liés à une parole tendue. Cette technique est efficace car elle évite des grandes différences dans les rythmes de la parole. En général, il faut aussi faire un travail sur la représentation du bégaiement nous aussi, sur les émotions et les croyances développées, et surtout travailler le transfert dans la vie de tous les jours.

EM : quels sont les outils dont les logopèdes disposent pour envisager cet aspect du traitement ?

ALL : dans le cadre de mes recherches, j'utilise la réalité virtuelle comme outil d’exposition pour augmenter le sentiment de compétence. Certaines sont des applications créées au départ pour lutter contre l'anxiété avant une expression en public. Face à une classe virtuelle, la personne doit appliquer les techniques apprises. Par exemple : parler de ses vacances, faire un discours… Le niveau de difficulté est contrôlé. Au départ, la classe est passive et soutenante, ensuite, elle est moins attentive, et peut même faire du chambard. C'est une exposition progressive. Même si la classe est virtuelle, le sentiment de présence est important. Et la personne peut acquérir de la confiance avant de tenter des prises de parole dans le monde réel : une commande au restaurant ou à l'épicerie, par exemple.

EM : existe-t-il des traitements médicamenteux ?

ALL : oui, mais ils ne sont pas tellement commercialisés en Belgique. Des essais ont été menés aux États-Unis. On observe que les traitements médicamenteux sont efficaces au moment où la personne les prend. Mais une fois le traitement arrêté, la situation revient à la normale. Il s’agissait au départ des médicaments lourds, qui pouvaient avoir des effets secondaires non négligeables. Des essais cliniques sont en cours pour trouver des molécules avec moins d’effets secondaires, mais ces médicaments ne « guérissent » pas le bégaiement. Il faudrait envisager dans quelles mesures ces traitements chimiques pourraient aider la personne à retrouver de la confiance dans sa parole en mettant en place en parallèle une prise en charge logopédique.

EM : quels conseils peut-on donner aux proches des personnes qui bégaient afin de faciliter la prise de parole ?

ALL : garder le contact oculaire est important. Même si la personne qui bégaie a elle-même tendance à perdre ce contact. Aux instituteurs, il est important de dire que le bégaiement n'a pas une origine émotionnelle mais que l’émotion peut l’augmenter. Avec l'accord des parents et de l'enfant, des aménagements peuvent être faits. Si l'enfant a du mal à lever la main en classe lorsqu'il est interrogé, on peut trouver des alternatives, tout en respectant les exigences de l'école. Un exemple : lui permettre de faire sa récitation en restant à sa place ou debout à côté de son bureau plutôt que devant l'ensemble de la classe. Ou demander à l'enfant s'il préfère être interrogé en premier – pour ne pas sentir l'anxiété monter – ou s'il est plus simple pour lui de se préparer au fait d'être interrogé.

Traitement : quels remboursements ?

Les séances de logopédie font l’objet d’un remboursement par l’assurance soins de santé obligatoire. Voici les conditions et le cadre pour ce qui concerne la prise en charge du bégaiement :

  • le patient doit obtenir l’accord du médecin-conseil de sa mutualité. Il doit donc lui faire parvenir un formulaire de demande, la prescription du médecin spécialiste pour le traitement et le bilan initial en logopédie (qui peut avoir été prescrit par un généraliste). 
  • les accords d’intervention sont donnés pour 12 mois maximum avec une durée totale ininterrompue de remboursement de 24 mois. 
  • le traitement comporte un quota de 128 séances de 30 minutes. 

Pour les enfants atteints de bégaiement, 10 séances de guidance parentale peuvent être prélevées dans le quota accordé pour le traitement et utilisées pour enseigner aux parents des stratégies spécifiques pour soutenir et augmenter l’efficacité du traitement logopédique de leur enfant.

Lorsque l’assurance obligatoire n’intervient pas ou plus, l'assurance complémentaire de la MC peut intervenir dans le traitement logopédique. Elle rembourse 10 euros par séance avec un maximum de 150 séances. Plus d'infos auprès de votre mutualité au 0800 10 9 8 7 ou auprès de votre conseiller mutualiste.