Vie professionnelle

Des milliers d'exclus des allocations d'insertion

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© www.31500Bel.be
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Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

Dans l'opinion publique, une image colle à la peau des bénéficiaires d'allocations d'insertion (anciennement appelées allocations d'attente) : celle de jeunes sortis des études, n'ayant

pas encore travaillé ni cotisé à la sécurité sociale. Cette image a vécu. Dans les faits, beaucoup de jeunes et de moins jeunes vivent aujourd'hui des allocations d'insertion.

En cause ? La détérioration du marché du travail. Dans les faits, les contrats à durée indéterminée et à temps plein se font rares alors que "fleurissent" les emplois à temps partiel, les boulots à durée déterminée, les missions d'intérimaires et autres contrats à la prestation. Ces emplois précaires permettent rarement d'ouvrir un "vrai" droit au chômage quand le travail n'est plus au rendez-vous, fait remarquer Vie Féminine (1). Les premières concernées sont les femmes, elles qui occupent majoritairement ce type d'emplois.

"Avant 36 ans, il faut 12 mois de travail à temps plein sur une période de 21 mois pour bénéficier d’allocations de chômage sur la base du travail, dénoncent à leur tour les Jeunes CSC. Qui peut dire aujourd’hui qu’il est facile de trouver un emploi temps plein à durée indéterminée (ou d’au moins un an), en début de carrière ? Plutôt que d’avoir le courage de supprimer purement et simplement l’allocation d’insertion, les gouvernements Di Rupo puis Michel l’ont rabotée de tous côtés. Il n’en reste quasiment plus rien. Ce ne serait pas si grave si les allocations de chômage, sur base du travail, n'étaient pas si restrictives".

Ceci explique pourquoi le chômage des jeunes est devenu, au fil du temps, un chômage courant chez les trentenaires et pas loin de l’être tout autant chez les quadragénaires… Une réalité que l'on pourra bientôt conjuguer au passé, puisque la réforme limitant l'octroi des allocations d'insertion à trois ans a produit ses premiers effets le 1er janvier dernier.

Stop Artt

Le revenu d'intégration ou plus rien

"Cette réforme introduit un changement décisif dans la politique d'activation des chômeurs telle qu'elle est menée dans notre pays, souligne de son côté le Réseau Stop Art63&2 (du nom de l'article de loi en question) qui rassemble plus de 80 organisations(2). En effet, à l'obligation de chercher du travail (effective pour les bénéficiaires d'allocations d'insertion - NDLR), elle substitue désormais l'obligation d'en trouver ! Il y a en Belgique plus d'un million de personnes totalement ou partiellement hors emploi pour… 50.000 offres d'emploi mensuelles ! Dans ce contexte, prétendre qu'affamer des individus va les pousser à trouver un emploi alors qu'il en existe si peu relève de la perversité. Cela va tout simplement conforter le pourcentage élevé de pauvres que compte déjà la Belgique."

Combien de personnes sont-elles concernées par cette mesure d'exclusion ? L'Office national de l'emploi parle de 16.900 personnes en fin de droit au 1er janvier 2015. Le Forem (wallon) évalue à plus de 30.000 (3) le nombre de Wallons concernés en 2015 et Actiris (en Région bruxelloise) en annonce près de 5.000.

Selon le Réseau Stop Art63&2, il s'agit majoritairement de femmes (65%) et de familles monoparentales (surtout des mères avec enfants à charge) mais aussi des travailleurs à temps partiel, intérimaires, artistes et autres travailleurs précaires. Que vont devenir les personnes exclues du droit aux allocations d’insertion ? Soit elles vont rejoindre la liste des bénéficiaires du revenu d’insertion sociale (RIS), ce dernier filet de protection sociale assuré par les CPAS, soit elles se retrouveront sans le moindre droit à une aide. "On calcule qu'à peine la moitié des ayant-droits vont être acceptés par les CPAS", estime Khadija Khourcha, permanente CSC à Bruxelles, dans la revue Axelle(1).

En effet, l'octroi du RIS est soumis à enquête sur les revenus du ménage. Le demandeur d'emploi qui vit chez ses parents ou dont le conjoint perçoit des revenus ne pourra donc y prétendre et se trouvera à la charge de ses proches. Khadija Khourcha ajoute : "C'est la porte ouverte à l'acceptation de n'importe quel contrat, à n'importe quel prix. Ces non-choix dégraderont davantage les conditions de travail pour les personnes visées mais aussi pour l'ensemble des travailleurs."

© Stop Art

Et tout ça pour quoi ?

"La limitation des allocations d'insertion dans le temps répondait à une exigence 100% libérale lors des négociations gouvernementales intervenues à l'issue d'une grave crise politique", explique aujourd'hui Elio Di Rupo, Président du PS, regrettant cette mesure (des corrections avaient d'ailleurs été apportées en fin de législature). La pression de l'Union européenne pour réformer notre assurance chômage dans un contexte de restrictions budgétaires n'est pas non plus étrangère à cette décision.

Quant aux économies espérées dans le secteur du chômage, elles sont dérisoires, ironise le Réseau Stop Art63&2. Sans compter qu’elles seront donc, en partie, répercutées sur des CPAS déjà en difficultés financières, notamment dans les communes les plus pauvres, au risque de renforcer les inégalités territoriales et sociales.

Pour le Réseau, l’absurdité de cette mesure est aussi économique. "Elle n’aura aucun effet significatif sur le chômage puisqu’elle ne crée pas d’emploi. Au contraire, elle produira un effondrement de la capacité des plus précarisés à participer à l’économie".

Un recul social sans précédent

La Belgique est le seul pays au monde à disposer d’un système d’allocations de chômage illimitées dans le temps. Une conquête sociale fondamentale, plaçant l’ensemble du monde du travail dans un rapport de force plus favorable, observe encore le Réseau qui parle de défaite politique catastrophique. "C'est un symbole fort qui tombe, mais c’est aussi une pression supplémentaire sur des conditions de travail qui ne cessent de se dégrader. Que ceux qui ont un job ne se fassent pas d’illusion : ils sont aussi visés par cette mesure !"

C'est d'autant plus vrai que le gouvernement actuel renforce encore ici et là la pression sur les chômeurs et les travailleurs : diminution de moitié de l'allocation garantie de revenus pour les travailleurs à temps partiel involontaire après deux ans, suppression du complément d'âge octroyé aux chômeurs de 55 ans et plus (nouveaux entrants au 1er janvier 2015), obligation pour les chômeurs de rester disponibles sur le marché de l'emploi jusqu'à 65 ans, élargissement de la notion d'emploi convenable, restriction des possibilités de crédit-temps, etc.

Du côté syndical, on n'abandonne pas le combat. Les actions de sensibilisation se poursuivent (la prochaine, organisée par la CSC, a lieu à Charleroi le 30 janvier prochain). Sur le terrain juridique, le syndicat chrétien annonce que des recours seront portés devant les tribunaux du travail au motif que la limitation dans le temps d'allocations de chômage est contraire aux principes de non-discrimination et de non-rétrogression des droits à la sécurité sociale, garantis par la Constitution belge.


Quels montants ?

Les allocations d'insertion sont forfaitaires et varient selon la situation familiale : 1.105,78 euros par mois pour le chef de ménage, 817,96 euros pour l'isolé âgé de plus de 21 ans, 425,36 euros pour le cohabitant de plus de 18 ans (453,44 euros s'il vit avec une personne disposant uniquement de revenus de remplacement).

De quoi s'agit-il ?

Entrée en vigueur le 1er janvier 2012, la réforme des allocations d'attente octroyées sur la base des études (rebaptisées "allocations d’insertion") comportait deux axes.

1. Le renforcement des conditions d'accès aux allocations

  • Le stage d'insertion préalable est passé de 9 à 12 mois.

  • Le demandeur d'emploi doit avoir obtenu une évaluation positive de ses efforts de recherche d’emploi lors des deux entretiens avec un facilitateur de l'Onem (au cours des 7e et 11e mois de stage).

  • A l'issue du stage, l'âge maximal pour introduire la demande d'allocations est fixé à 30 ans.

2. La limitation du droit aux allocations d'insertion à trois ans (36 mois)(1)

Pour les chefs de ménage, les isolés et les cohabitants qui vivent avec une personne bénéficiant uniquement d'un revenu de remplacement, la période de trois ans commence à partir de l'âge de 30 ans. Pour les cohabitants, la limitation à trois ans s'applique quel que soit l'âge.

Les 36 mois fonctionnent comme une sorte de crédit. Tant qu'ils n'ont pas été épuisés, la personne peur réintroduite une demande pour bénéficier des droits restants, pour autant qu'elle reste dans les conditions d'accès.

Cette période de 36 mois peut être prolongée sous certaines conditions par les journées de travail, les formations, les études avec dispense de l'Onem…

Par ailleurs, le crédit est porté à cinq ans pour les demandeurs d'emploi avec une incapacité de 33% (reconnue par l'Onem) ou avec des problèmes de santé physique ou mentale importants (reconnus par le Forem, Actiris ou VDAB). Ces personnes devront s'inscrire dans un régime d'accompagnement par un service régional de l'emploi. Mais rien n'est encore clair à ce propos.

Avec Michel 1er : pire encore…

Depuis le 1er janvier dernier, ce n'est plus avant 30 ans mais 25 ans qu'un jeune peut introduire une demande d'allocations, à l'issue de son stage d'insertion. Et à partir du 1er septembre prochain, le jeune de moins de 21 ans devra être diplômé de l’enseignement secondaire supérieur ou avoir terminé avec succès une formation en alternance (jusqu'à présent, le fait d'avoir entamé la 6e année secondaire était valable). S'il ne satisfait pas à cette condition, il devra attendre ses 21 ans (auparavant 18 ans) pour introduire une demande, à condition d'avoir terminé des études ouvrant le droit à l'allocation d'insertion.

"L'objectif de cette mesure est de faire comprendre aux jeunes que l'obtention d'un diplôme est importante et qu'elle augmente les chances sur le marché du travail", a souligné le ministre fédéral de l'Emploi, Kris Peeters…