Droits sociaux

Asile - Pour planter ses racines, un tuteur

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800 mineurs étrangers non-accompagnés attendent un tuteur dans des centres.<br />
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800 mineurs étrangers non-accompagnés attendent un tuteur dans des centres.
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Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

Environ 5.000 mineurs étrangers non-accompagnés (Mena) ont cherché refuge en Belgique l’année passée. Que deviennent-ils ensuite ? Dans un premier temps, ils séjournent dans un Centre d'orientation et d'observation de l'Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile (Fedasil). Le but de ce séjour est double : définir si les jeunes sont effectivement non accompagnés et mineurs d'âge (un test osseux est imposé si un doute persiste), puis dresser une première esquisse de leur profil social, médical et psychologique pour les orienter vers la structure d'accueil la plus adaptée à leurs besoins.

Ensuite, direction une structure d'accueil collective, où pendant quatre à douze mois, ils expérimenteront la vie en communauté, accompagnés d'éducateurs qui les épauleront dans leur parcours scolaire et les prépareront à une vie autonome.

Enfin, le grand pas : l'autonomie accompagnée. Les plus de seize ans peuvent être orientés vers une structure d'accueil individuelle, telle une Initiative locale d'accueil (ILA), vers un logement privé organisé par un CPAS, ou dans un centre de l'Aide à la jeunesse si l'enfant requiert un service spécifique (jeunes filles mères, victimes de la traite…).

Un tuteur assure l'intérêt supérieur de l'enfant dans les prises de décisions.

Une procédure secouante

Conjointement au parcours d'accueil, le Mena introduit son dossier auprès des autorités belges. Sur papier, la procédure semble simple. En pratique, par contre, elle se révèle secouante… "J'en garde un souvenir négatif, partage Lailah, arrivée du Rwanda à 16 ans avec son petit frère dont elle est responsable. C'était très long, très compliqué… Nous sommes restés en attente de régularisation durant quatre ans dans les centres Fedasil et Croix-Rouge. Nous vivions dans une perpétuelle incertitude. Il fallait tenir bon, gérer nos angoisses, nous rassurer mutuellement."

Les autorités belges analysent en effet scrupuleusement la demande de protection du Mena : d'où vient-il ? Quelle est la situation politique et sociale de son pays d'origine ? Quelle a été sa route migratoire ? Que sont devenus ses parents ? … Des questions ardues, sensibles, auxquelles il est difficile de répondre. De fait, qui est capable de raconter ce qui lui est arrivé de pire dans la vie à de parfaits inconnus ?

Une main sur l'épaule

Pour aider le Mena à franchir chacune de ces étapes, l'État belge organise son accompagnement par un tuteur. Ce dernier est "la représentation légale" du jeune, il assure l'intérêt supérieur de l'enfant dans les prises de décisions. Il le représente durant son séjour en Belgique, s'assure qu'il ait accès aux aides et aux soins…Il lui consacre du temps, de l'énergie, développe un réseau d'aide, établit une relation de confiance avec lui. Et lui fait prendre confiance pour le préparer à une procédure forte en émotions. "Comme lorsqu'un gamin de six ou sept ans est sommé par le CGRA de décrire les tortures qu'il a vécu dans son pays. Une procédure violente lors de laquelle le tuteur intervient pour rassurer", raconte Ugo Guillet.

En 2010, ce dernier prend son premier mandat de tuteur parce que les droits de l'enfant le "touchent personnellement" et qu'il désire "agir face aux injustices qu'ils subissent". Une sensibilité apparue sur les rives d'un fleuve africain, alors que, devant lui, des pirogues remplies de jeunes partaient pour la migration. "C'est du travail de veiller à ce que les droits fondamentaux du jeune soient respectés en Belgique lors de leur procédure !, affirme-t-il. Les autorités les voient malheureusement comme des migrants avant que puissent être reconnus leurs droits d'enfant."

Lailah, une ancienne pupille de Ugo, songe à leur première rencontre : "Je me souviens avoir été très réservée. J'ai mis du temps avant de me confier à lui. Puis, au fur et à mesure, il est devenu plus un membre de la famille qu'un tuteur. Comme une main sur mon épaule lors des moments difficiles…" Il arrive que le tuteur reste en contact avec ses pupilles au-delà du mandat qui lui est confié. "L'une d'entre- elles, pour m'annoncer la naissance de son premier enfant, m'a dit que j'étais grand-père ! J'ai aussi été témoin de mariage, visité des maternités…"

Trois statuts

Salariés ou volontaires, les tuteurs rencontrent des réalités de travail différentes. Les premiers, engagés par un service de tuteurs pour Mena, peuvent prendre en charge jusqu'à 25 pupilles simultanément. Les volontaires, par contre, sont rétribués par le Service des tutelles (605 euros par jeune plus frais administratifs), un organe annexé au Ministère de la Justice. En deçà de six jeunes, leurs indemnités sont exonérées d'impôts. En revanche, un statut d'indépendant, au sens fiscal du terme, leur est nécessaire pour suivre de six à 40 jeunes au maximum. De quoi largement remplir un temps plein puis que le tuteur accompagne et suit ses pupilles à travers toutes les procédures, fait le lien entre eux et le juge de paix, garantit des visites régulières, gère ses biens…

Qu'est-ce qu'un 'bon' tuteur ? "Celui ou celle qui est formé et engagé dans les questions de l'exil, de l'enfance, de l'adolescence, répond sans hésiter Katja Fournier, coordinatrice de la Plateforme mineurs en exil (1). Quelqu'un qui ne juge pas, qui n'a pas peur de décevoir tout en travaillant la relation de confiance, qui garde comme objectif l'intérêt du jeune mais aussi une capacité de collaboration avec les institutions, qui est capable de déconstruire un projet migratoire non réaliste sans pour autant tuer l'espoir du jeune."

La fonction de tuteur a le mérite d'exister. Mais selon les échos du terrain, il est urgent de lui accorder les moyens de ses ambitions.

800 Mena attendent…

La fonction de tuteur a le mérite d'exister grâce au Service des tutelles. Mais selon les échos du terrain, il est urgent de lui accorder les moyens de ses ambitions. À l'heure actuelle, 800 mineurs étrangers non-accompagnés attendent un tuteur dans des centres. "Le manque de budgets implique que tous les jeunes ne sont pas protégés comme ils le devraient, martèle Katja Fournier. Ceux qui ont 16 ou 17 ans ne sont pas prioritaires pour obtenir un tuteur. En auront-ils un avant leur majorité ? Si ce n'est pas le cas, ils seront considérés comme des demandeurs d'asile adultes et non plus comme des mineurs à protéger."

Du côté du Service des tutelles, on temporise… "Mi-2015, 241 tuteurs étaient actifs. Pour faire face à la situation actuelle, nous en avons recruté davantage. Aujourd'hui, ils sont 360, dont 135 francophones, et 60 nouveaux tuteurs devraient nous rejoindre au mois de mai." Est-ce suffisant ? Avant 2014, huit jeunes non-accompagnés étaient signalés quotidiennement sur le territoire. En 2015 : 15. Au cours de ces derniers mois, on parle de 30 à 40 signalements par jour. Un surplus d'ambition sera nécessaire pour que soient effectivement appliqués les droits des Mena dans un pays signataire des Droits de l'Enfant.


Accueillir un Mena chez soi

L'offre d'accueil des mineurs étrangers en Belgique n'est pas suffisante. Et la vie en collectivité n'est pas adaptée à tous les jeunes. Permettre à un Mena d’être accueilli dans une famille : un projet novateur.

Grâce au financement mixte de l'Union européenne et de la Fédération Wallonie Bruxelles, l'association Mentor Escale a démarré depuis quelques mois un projet qui vise à accueillir des Mena au sein de familles d'accueil formées pour accueillir de jeunes exilés.

Mentor Escale accompagne les citoyens solidaires qui voudraient aider un enfant à grandir, à s'épanouir, et lui offrir un cadre familial structurant et sécurisant.

L’aide de l’association consiste notamment en un accompagnement des familles et en un soutien psychosocial, juridique et administratif.

À l'heure actuelle, six familles ont déjà été "sélectionnées" et 40 sont en cours de "construction du projet d'accueil". Aucun profil-type n'est requis. Le plus important est de disposer d'une motivation éprouvée dans le temps.


Formation et déontologie

Au-delà du recrutement de tuteurs, la Plateforme Mineurs en exil a d'autres attentes pour celles et ceux qui accompagnent les Mena. Dont leur formation et l'écriture d'un code déontologique.

"Qui sont les Mena ? Qu'est-ce que la tutelle ? Comment fonctionne notre système d'accueil ? … Ces questions font partie de la formation prévue pour les tuteurs, affirme Katja Fournier, coordinatrice. Ce qui me frappe, c'est qu'elle n'aborde pas la question de l'intérêt supérieur de l'enfant."

Une préoccupation à laquelle souscrit une tutrice contactée par nos soins : "Des tuteurs pas assez formés peuvent faire des dégâts. Un tuteur inexpérimenté serait par exemple tenté de suivre à la lettre les demandes de l'Office des étrangers qui, dans de nombreux cas, encourage le retour de l'enfant au pays". En effet, le tuteur n'a comme mandat que d'agir dans l'intérêt général du jeune, pas des institutions, ni des politiques. Heureusement, depuis peu, un helpdesk répond aux questions des tuteurs en difficulté.

En revanche, le Service des tutelles ayant confié la gestion de celui-ci à Caritas et à la Croix-Rouge, cela l'éloigne des problèmes rencontrés sur le terrain par les tuteurs. "Un espace d'échange régulier sur les pratiques serait donc à envisager", suggère-t-on à la Plateforme.

Autre point d'attention : la déontologie. "C'est la seule profession où l'adulte qui a une responsabilité légale vis-à-vis d'un mineur vulnérable ne s'appuie sur aucun code déontologique", s'offusque Katja Fournier. "La loi sur la tutelle est bien faite, assure-t-elle. Mais quand se donnera-t-on les moyens pour remplir les missions qu’elle définit ?"