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Casa Legal : maison de la justice pour tous

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©Alex GD
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Soraya Soussi

Soraya Soussi

Mariella est arrivée en Belgique il y a quelques années. Elle obtient un titre de séjour grâce au principe de regroupement familial demandé par son mari de nationalité belge. Ils ont un petit garçon de cinq ans, Gabriel. Une nouvelle vie s'offre enfin à elle. Mariella souhaite reprendre des études et travailler, mais son mari s'oppose fermement à cette idée. C'est le début du cauchemar. Il devient violent psychologiquement, puis physiquement. Lorsqu'il s'en prend pour la première fois à Gabriel, elle décide de quitter le domicile conjugal... au risque de perdre son titre de séjour si son mari la dénonce aux autorités. Qu'à cela ne tienne, elle doit sauver sa peau et celle de son enfant. 

Cette histoire fictive s'apparente à un "dossier-type" que traitent les avocates de la nouvelle maison socio-juridique, Casa Legal, située rue des Tanneurs à Bruxelles. Une petite révolution dans l'univers du droit. 

Avocats et droits des personnes mis à mal

L'accès aux droits pour toutes et tous est l'un des fondements de nos démocraties. Toute personne doit pouvoir être défendue. Pour les personnes à faibles revenus, il existe en Belgique un système d'aide juridique permettant de bénéficier gratuitement d'un avocat (1), les frais étant pris en charge par l'État. Seulement, sur le terrain, la précarité financière conjuguée à l'isolement social et la détresse psychologique rendent l’accès à la justice bien plus complexe que cela. Face à ces personnes, des avocats esseulés dans leur cabinet, surchargés, carencés en temps... Comme l'étaient Margarita Hernandez-Dispaux, Clémentine Ebert, Katia Melis et Noémie Segers, les quatre avocates fondatrices de Casa Legal. Leur constat est unanime et sans appel : "Beaucoup d'avocats et surtout d'avocates laissent tomber la robe après les dix premières années d’exercice. Le droit des étrangers et de la famille sont des matières qui demandent énormément de temps et d'énergie car nous sommes confrontées à la souffrance humaine", confie Margarita Hernandez-Dispaux, spécialiste en droit de la famille. À ses côtés, sa consœur Clémentine Ebert complète : "Nous essuyions souvent des échecs quand nous étions au Barreau. Il était nécessaire de créer une relation de confiance pour obtenir un maximum d'informations afin d'assurer le suivi juridique de ces personnes mais pour cela, il fallait du temps et des compétences que nous n'avions pas." Une situation commune et connue des avocats pro deo qui exercent notamment dans le cadre de l'aide juridique.

Avec l'aide d'une trentaine de moniteurs formés et de plus de 350 volontaires

Persuadées qu'une autre forme de justice est possible et voulant dépoussiérer la profession, les quatre avocates se lancent le défi d'ouvrir une maison socio-juridique sous forme d'ASBL. "C'était important pour nous de nous constituer en ASBL. Les gens sont moins méfiants en entrant dans une association. L'image de l'avocat avare colle encore à la peau", confie Clémentine Ebert.

 

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À cette époque, une nouvelle réforme du Code des sociétés intègre justement les ASBL, obligeant l'ordre des avocats à inclure ce type de structure dans le code de déontologie. Les quatre consœurs saisissent la balle au bond et convainquent l’ordre des avocats de valider la demande. La "petite révolution" peut démarrer. Étant novices en matière d'entrepreneuriat, Margarita Hernandez-Dispaux, Clémentine Ebert, Katia Melis et Noémie Segers suivent une formation durant un an chez Coopcity, centre dédié à l'entrepreneuriat social. Là-bas, les quatre jeunes femmes développent un large réseau associatif, découvrent les méthodologies de gestion et d'intelligence collectives, l'univers de l'économie sociale...

Union des droits

L'histoire du personnage de Mariella illustre la nécessité d'accompagner les affaires traitées par les avocats avec une approche holistique, tant sur les matières juridiques que psycho-sociales. "Nous avons chacune des spécialités différentes mais étroitement liées : droit des étrangers, de la famille, mais nous sommes aussi confrontées à du droit pénal et de plus en plus à du droit de la jeunesse"explique Margarita Hernandez-Dispaux. 

Reprenant le "cas de Mariella", sa consœur Clémentine Ebert, spécialisée en droit des étrangers, précise : "Cette dame d'origine étrangère doit pouvoir garder son titre de séjour (droit des étrangers). Elle voudra sans doute aussi divorcer suite aux violences subies (droit de la famille). Porter plainte pour coups et blessures (droit pénal). Au vu de la situation, un juge de la jeunesse sera sans doute saisi et l'enfant devra probablement être placé (droit de la jeunesse)"D'ordinaire, ces personnes doivent faire appel à différents avocats spécialisés pour chaque matière. Cela signifie se déplacer à divers endroits, raconter plusieurs fois, à différentes personnes, des situations gênantes, traumatisantes...

D'emblée, les avocates décident de travailler en binôme si le bénéficiaire y consent : "Dans un cabinet, on peut se retrouver fort seul et nous ne voulions plus fonctionner de la sorte. Nous mettons à profit les méthodologies de l'intelligence collective et c'est bien plus humain et efficace", assure l’avocate. 

Un accompagnement pluriel

L'originalité de Casa Legal est aussi d’offrir un accompagnement psychologique et administratif dans un même lieu. "Face aux polytraumatismes (violences, viol, exil,etc.), la personne est parfois dans l'incapacité psychologique de relater des faits. Et sans informations, impossible pour nous d'atteindre un quelconque objectif", justifie Clémentine Ebert. Par ailleurs, "se procurer les documentspour bénéficier de l'aide juridique gratuite peut s'avérer très compliqué pour certaines personnes. Avec le risque de perdre des gens"

Une fois par semaine, Casa Legal accueille une assistante sociale détachée par Caritas international via son antenne CAP-Brabantia, qui collabore sur les "dossiers plus difficiles"."Les personnes qui frappent à notre porte entrent par la voie juridique mais peuvent par la suite bénéficier d'un accompagnement psychosocial en fonction des situations. Grâce à ce travail collaboratif, nous arrivons à débloquer parfois des affaires qui étaient restées sans suite depuis des années !"

Du côté des travailleurs sociaux, Casa Legal répond également à des besoins :"Il existe certes, des services juridiques dans diverses structures sociales mais un juriste ne peut enfiler sa toge et se rendre au contentieux pour défendre la personne. En tant qu'avocates, nous avons cette possibilité d'accompagner jusqu'au tribunal le bénéficiaire, si nécessaire", ajoute Clémentine Ebert. 

Mieux vaut prévenir que guérir

Ce dispositif complet et interprofessionnel semble être un pari gagnant à différents niveaux et pour toutes les parties. "Les procédures judiciaires sont parfois très compliquées. Il est important pour nous de prendre le temps d'expliquer aux personnes comment cela va se dérouler, quels sont leurs droits, ce que la justice attend d'elles. Et surtout, que ce qui peut leur sembler perdu d'avance ne l'est pas. Ce qui va engendrer de l'espoir, encourager la personne et lui redonner confiance en son pouvoir d'action", explique Clémentine Ebert. À titre d'exemple, si on revient à l’histoire de Mariella, "l'accompagnement avec un assistant social lui permettra au besoin de retrouver un logement, suivre une formation, retrouver un équilibre de vie."

Dans cette veine-là, le quatuor souhaite organiser des formations auprès des bénéficiaires afin de favoriser leur émancipation. Les fondatrices de Casa Legal ont aussi la volonté de promouvoir une approche préventive au contentieux : "On le sait, la justice est engorgée. Les délais d'appels sont souvent de plusieurs années. Cela coûte du temps et de l'argent. Et pour les personnes, ces temps longs sont souvent intenables. Or, il est parfois possible de régler des affaires via une médiation", prévient Margarita Hernandez-Dispaux. Et Clémentine Ebert de nuancer : "Néanmoins, quand c’est nécessaire, comme dans le cas de violences intra-familiales, nous allons au contentieux."

Une justice future plus équitable

Casa Legal est encore une jeune structure et l'équipe se remet constamment en question sur son travail, ses collaborations, ses méthodologies. "Nous aimerions, dans un idéal, couvrir toutes les matières du droit, élargir nos collaborations, engager plus de personnes et donc dégager des moyens financiers plus conséquents", projette Clémentine Ebert. Aujourd'hui, l'association bénéficie des revenus octroyés par le Bureau d'aide juridique (BAJ), ainsi que d'autres subsides mais non pérennes. Leurs services ne sont pas exclusivement dédiés à l'aide juridique. Elles reçoivent également des personnes pouvant se permettre de payer les honoraires d'un avocat proportionnellement à leurs revenus. Elles donnent également diverses formations, etc. Mais les rentrées sont pour l’instant insuffisantes pour déployer l’armada d’avocats et de travailleurs psychosociaux nécessaires.


Casa Legal est souvent comparée à une maison médicale, qui entre dans cette dimension pluridisciplinaire et est plus humaine qu'un cabinet d'avocats. La plus-value d'une association se traduit par son accessibilité à tous publics. "Peut-être un jour, à l'image de la Fédération des maisons médicales, nous aurons la Fédération des maisons socio-judiciaires Casa Legal qui permettra à toutes et tous d'accéder à leurs droits, car il est certain que la demande est présente et urgente", conclut l'avocate.


(1) Pour savoir comment obtenir une aide juridique, contactez le CPAS de votre commune ou allez sur cajdebruxelles.be (pour Bruxelles) ou sur le site de la Commission d'aide juridique de l'arrondissement de votre ville en Wallonie en vous rendant sur avocats.be.

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En savoir plus : casalegal.be