Vivre ensemble

Des avocats font leur marché
 

2 min.
Le Justibus, ouvert à tous sur les marchés bruxellois. Un premier accès aux services d'un avocat, pour une orientation adéquate.
Le Justibus, ouvert à tous sur les marchés bruxellois. Un premier accès aux services d'un avocat, pour une orientation adéquate.
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Des caisses d'oranges à droite. Des bocaux d'olives à gauche. Des monceaux de fringues un peu plus loin. Et, partout, les harangues des marchands en arabe et en français. Ce mardi-là, le marché de la place Duchesse de Brabant, à Molenbeek, bat son plein. En périphérie, la présence d'un minibus brun intrigue une dame voilée, la quarantaine, tirant un caddie rempli de victuailles. Avec son brassard bleu "avocat" bien visible sur sa veste jaune, Hélène Crokart, avocate spécialisée dans le droit des étrangers, l'interpelle, ne laissant planer aucun mystère sur sa raison d'être là. Pas plus que la bannière accrochée au véhicule : "Consultations gratuites par des avocats, sans rendez-vous".

Pas étonnant que cela défile. "En général, au moins cinq justiciables par heure, et parfois bien plus", explique l'avocate spécialisée dans l'aide juridique de première ligne, onze années d'expérience. "Nous vérifions si les demandeurs ont besoin d'un avocat et, si oui, nous les envoyons vers un avocat plus spécialisé au sein des permanences fixes de l'arrondissement. Nous ne pouvons évidemment pas poser d'actes juridiques nous-mêmes. Nous travaillons en binômes de deux avocats, dont l'un systématiquement expérimenté en droit des étrangers, et deux stagiaires ". À l'écoute dans le dos de Hélène, Margaut et Élisabeth, en cours de formation, consultent des textes de loi sur leur smartphone ou passent des coup de fil à l'extérieur pour affiner l'aide fournie.

Accès spontanés

Des hommes défilent et soumettent leurs cas aux avocates. L'un pour examiner l'équivalence en Belgique d'un diplôme en électronique délivré au Maroc, l'autre pour évaluer les chances d'un beau-fils resté au Maroc d'obtenir un permis de séjour définitif en Belgique, un troisième pour connaître ses droits alors que ses quatre enfants viennent d'être placés en institution par le juge de la jeunesse. Les femmes ne sont pas en reste : une sexagénaire veut comprendre la différence entre héritage et donation. Une autre, plus jeune, éclate en sanglots, se demandant qui pourra l'informer sur son fils parti en Syrie il y a trois ans - aucune nouvelle depuis dix-huit mois…

"Beaucoup de femmes victimes de violences conjugales viennent ici. Aussi, pour des problèmes locatifs. Comme ce sont surtout elles qui font les courses, elles viennent nous trouver plus spontanément sur les marchés qu'ailleurs, sans rendez-vous. Il n'y a ni file, ni contexte austère. Parfois, les gens ont juste besoin de parler et de sentir écoutés. Ou de sentir que les informations délivrées par un service plus officiel, par exemple communal, sont bien fondées - c'est souvent le cas".

Les avocats dans la cité

Proximité, visibilité et disponibilité, tels sont les trois mots-clés du Justibus. "Les gens ont trop souvent peur d'entrer en contact avec le système judiciaire, qui leur paraît complexe, coûteux et injuste. Il était important de remettre l'avocat au cœur de la cité, explique l'avocate familialiste Vinciane Gillet, présidente de la Commission d'Aide juridique de l'arrondissement judiciaire de Bruxelles et initiatrice de ce projet-pilote. Raison pour laquelle les avocats du minibus accueillent tous les justiciables, sans critère de nationalité ni de revenus".

Son lancement ne s'est pas fait sans mal : il a fallu deux ans pour obtenir les autorisations nécessaires (communes, bâtonnier…). Aujourd'hui, le Justibus tourne à plein régime, aidé par le bouche-à-oreille (1). "Deux jours après le lancement, le 12 octobre dernier, nous avions déjà 76.000 vues sur Facebook. Aujourd'hui, la mixité des nationalités y est très large : c'est exactement ce nous voulions". Le signe, sans doute, que le besoin à combler en termes d'accessibilité de la justice reste énorme. 

 

(1)   Le Justibus fermera déjà ses portes le 31 décembre. Mais il devrait les rouvrir dès mars prochain, circulant alors sur un nombre élargi de communes (aujourd'hui au nombre de cinq) et de marchés.