Vivre ensemble

Le fourneau, outil de réinsertion en prison                                                 

6 min.
(c) Belga
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Stéphanie Bouton

Stéphanie Bouton

"Se retrouver entre quatre murs derrière une porte blindée, même avec un minimum de confort, ça reste difficile !" Veste de cuisine sur le dos, essuie coincé à la taille, Paul (1) s’affaire devant son plan de travail pour étaler la pâte et couper les pommes qui garniront la tarte prévue en dessert. Regard rieur, plutôt expansif, il n’y va pas par quatre chemins quand on l’interroge sur ses motivations : "Oui, j’ai merdé mais j’ai des enfants et j’ai envie de les rejoindre. Alors, cette formation, je la vois comme un apport pour trouver du travail et essayer de m’en sortir… J’étais un zéro en cuisine mais je ne vais pas rester comme un imbécile dans ma cellule et mon ignorance !"

De l’autre côté du fourneau, Denis écoute attentivement les conseils du chef : "Il m’a tout appris en cuisine. Ma femme travaille dans un snack et l’idée serait d’ouvrir un établissement de petite restauration à ma sortie. Je suis toujours en préventive mais, si je suis condamné à deux ou trois ans, je demanderai pour rester ici afin de finir la formation. Si je suis libéré plus tôt, je terminerai ma formation à l’extérieur en fonction de ce qu’on me proposera". Pour ce jeune papa, les cours sont aussi une bouffée d’oxygène : "ça m’occupe l’esprit et c’est une bonne fatigue. Je suis arrivé ici un mois après la naissance de ma fille. Je ne peux en vouloir qu’à moi-même… Elle vient me voir tous les jours et heureusement, nous avons des visites sans surveillance 6 heures par mois. Je suis travailleur, j’ai juste rencontré les mauvaises personnes. Je regrette sans regretter car j’aurais peut-être fait pire ! C’est une bonne leçon et, à la prochaine occasion, je réfléchirai 20 fois avant d’agir. On a tous des pensées farfelues…"

Un défi, une expérience

Ce qu’ils ont fait, pourquoi ils sont là…, Pascal Reims ne s’en préoccupe pas. Traiteur indépendant depuis près de trente ans, il aime les nouvelles expériences : "J’ai déjà donné cours dans une école de plein exercice et je donne toujours cours ailleurs mais ici, c’est différent… J’apprends beaucoup de la vie carcérale. C’est une expérience enrichissante dans tous les sens du terme et le retour que j’ai des détenus est magnifique. Bon j’avoue que la première fois que je suis entré ici, j’ai senti une charge sur mes épaules mais, le lendemain, ça allait beaucoup mieux car je savais où j’allais arriver".

Ses qualités de pédagogue, son expérience et son envie de transmission sont régulièrement pointées par les élèves qui apprécient aussi que ce soit une personne extérieure à la prison. "Je leur répète souvent : ‘je suis ici pour vous apprendre des choses, on rigole ensemble, mais je ne veux pas savoir ce que vous avez fait !’ Je suis quelqu’un de direct et, dans ce cas précis, c’est vrai que, dès le départ, vous devez montrer qui vous êtes. Les carbonnades n’arrivent pas en cubes et les légumes en julienne : ils ont des couteaux !"

Comme toutes les formations organisées à la prison de Namur, celle de cuisine est ouverte à tous les détenus à condition que la personne ne soit pas dangereuse et qu’elle ne pose pas de problème de comportement en groupe. Avant d’entamer le cursus, le professeur rencontre chaque candidat pour connaître ses motivations et constituer le groupe. "Nous avons planifié des modules de six mois car au-delà, il y a un risque que les détenus quittent la prison, précise Pascal Lacroix, attaché à la Direction de la prison de Namur et responsable des formations. Nous avons une indication par rapport aux faits commis mais je ne suis pas Madame Soleil ! Lorsque des élèves abandonnent la formation, nous acceptons de nouveaux détenus en cours de route et ils suivent alors le cursus en élève libre".

De la théorie à la pratique

Aujourd’hui est un jour particulier pour Alain. Il s’apprête à passer sa qualification pour accéder à la seconde partie de sa formation. Pour obtenir son diplôme, il doit suivre un total de 480 heures de cours théoriques et pratiques et prester 240 heures de stage (2). Incarcéré à Namur depuis 4 mois et toujours en préventive, Alain effectue son stage en travaillant tous les matins à la cuisine : "J’ai été pris comme n°1 pour cuisiner pour l’ensemble des détenus. Tout nous arrive déjà préparé : les boulettes sont déjà roulées, les lasagnes doivent juste être enfournées… alors, la semaine dernière, pour changer, nous avons fait des chicons au gratin nous-mêmes avec du blanc de poulet. Au final, c’est nous qui le mangeons donc on essaie de faire au mieux ! Nous utilisons plutôt du poulet ou du bœuf car il y a des musulmans, et puis il y a les végétariens ou les intolérants au gluten. On doit sans cesse s’adapter". Quand il a terminé de préparer les repas de la collectivité (de 6h à 12h30) et qu’il a dîné, il remonte un quart d’heure en cellule, jusqu’à l’arrivée du professeur. "Le rythme est soutenu mais j’apprends plein de choses. C’est très diversifié et ça me détend. Une fois en cuisine, je ne me sens plus en prison : ça fait un bien fou de sortir de sa cellule !"

Règles et contours

Alain s’applique à ficeler les aumônières de volaille tout en surveillant la réduction de sa sauce. Cet après-midi, il est finalement le seul détenu à passer sa qualification. Les défections sont nombreuses : "Un élève est en permission de sortie car il est blessé, un autre a quitté la prison et le troisième qui devait la passer aujourd’hui a finalement refusé. Au départ, ils étaient une douzaine mais, de manière générale, je tourne avec sept ou huit élèves", regrette le professeur.

Alain est impatient de présenter son plat aux membres du jury. Devant eux, un seul verre et une bouteille d’eau. "Il arrive qu’on nous serve du vin mais il est alors sans alcool, s’amuse Philippe Berger, le directeur adjoint du Cefor. L’année passée, j’ai passé ma première qualification au sprite ! Avec un magret de canard à l’orange, c’était une expérience que je n’oublierai pas !", se souvient ce professeur d’œnologie, champion du monde de dégustation à l'aveugle en 2018. Pas d’alcool dans les plats, levure distribuée au compte-goutte… Les formateurs doivent composer avec les restrictions de l’univers carcéral. "Nous devons faire preuve de souplesse et avoir un peu de conviction personnelle car c’est vraiment l’occasion de leur donner une 2ème chance !", défend le directeur adjoint du Cefor. Il faut jongler avec les punitions qui privent certains élèves des activités collectives (et donc de cours), le transfert des détenus d’une prison à l’autre pour des raisons liées au surpeuplement ou aux travaux (comme c’est le cas actuellement à la prison de Namur), les contraintes liées à la sécurité ou aux nécessités de l’instruction judiciaire… Sans parler de la disponibilité des surveillants qui travaillent souvent en effectif réduit : "Avec les grèves, nous n’avons pas eu cours pendant quatre vendredis", se désole un des élèves qui regrette aussi l’opposition de certains surveillants aux formations.

Ce reportage a été réalisé au mois de mars, quelques jours avant le confinement qui a entraîné l’arrêt des visites et des cours pendant trois mois. Mais, comme dans tous les autres types d’enseignement, les cours ont repris. "En juin, nous avons pu réunir les élèves durant quinze jours pour finaliser le premier module et faire passer les derniers examens. Les formations ont redémarré et, d’ici l’été prochain, ils auront leur diplôme de commis de cuisine", se réjouit Monsieur Lacroix. Un atout non négligeable pour améliorer les perspectives d’une réinsertion réussie dans la société, une fois libres.


 

Enfin rénovée ?

Entre mai 2017 et mai 2019, 7 millions d’euros ont été investis dans la rénovation des ailes B et D de la prison, ainsi que pour certains locaux techniques, préaux et la cour. C’est maintenant au tour des ailes A et C d’être rafraichies. Cette deuxième phase des travaux devrait s’étaler jusque mai 2022. Le coût de cette rénovation bien nécessaire est estimé à 9,5 millions d’euros.

Bâtie en 1874 au cœur de la ville, la prison de Namur est une maison d’arrêt* qui accueille également plusieurs condamnés et quelques internés dans l’annexe psychiatrique. Les femmes n’y sont plus détenues depuis une dizaine d’années. "Avec les travaux, nous avons 117 places disponibles mais nous accueillons actuellement 168 hommes. Nous avons réussi à limiter à deux personnes par cellule (avant 3) et nous n’avons pas de matelas par terre !", assure Pascal Lacroix, attaché à la Direction de la prison de Namur.