Vivre ensemble

Le populisme : stop ou encore ?
 

3 min.
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Les démocraties vacillent. Et pas n’importe lesquelles. En ce début 2020, trois des plus grandes démocraties au monde ont un leader populiste à leur tête : Donald Trump aux Etats-Unis, Jair Bolsonaro au Brésil et Narendra Modi en Inde. L’Europe n’est pas épargnée par les éructations simplistes, nationalistes voire carrément xénophobes de certains leaders actuels ou récents : Matteo Salvini en Italie, Viktor Orban en Hongrie, Recep Erdogan en Turquie et, à nos portes voire déjà dans la bergerie, Marine Le Pen en France et les jeunes caciques en col blanc du Vlaams Belang en Flandre. "Ce n’est pas juste un événement passager, mais une tendance qui est là pour rester", prévient Léonie de Jonge, spécialiste de la droite nationaliste populiste à l’université de Groningen (Pays-Bas) (1). "Nous avons commis l’erreur de croire que les démocraties, qui se sont montrées stables dans de nombreux endroits du globe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, allaient durer", complète Yascha Mounk, politologue à Harvard et auteur de l’ouvrage Le Peuple contre la Démocratie (2).

Seul le peuple sait…

Définir le populisme donne lieu à d’innombrables palabres mais on peut sans trop de risques en brosser quelques traits. L’opposition entre un peuple supposé "bon" et des élites supposées (au mieux) incompétentes, (au pire) corrompues. Un leader charismatique usant de formules séduisantes, faciles à comprendre et flattant un peuple présenté comme entier, homogène. Plus subtilement parfois, la critique des institutions démocratiques (justice, etc.), jugées trop lourdes et des instruments d’expression traditionnels (presse, etc.), accusés d’être inféodés à des forces plus ou moins obscures. Tous deux, finalement, inutiles puisque "le peuple, lui, a compris ce qu’il faut faire."

Danger ? Oui, absolument, car il suffit alors de désigner les boucs émissaires (les populations immigrées, les migrants, les porteurs d’une autre religion ou préférence sexuelle…) pour actionner des engrenages de violence verbales, institutionnelles puis physiques. Autre itinéraire de basculement : une fois arrivés au pouvoir, les dirigeants populistes se rendent compte que les problèmes et les réponses à y apporter ne sont pas aussi simples qu’annoncé à leurs électeurs. Refusant d’en appréhender la complexité, ils optent alors pour l’autoritarisme, muselant toute forme de critique ou d’opposition.

Oubliés, donc méprisés

L’explication au succès du populisme est multiple. La montée des inégalités, même dans des pays plutôt égalitaires ou disposant de correctifs socio-économiques relativement efficaces de type sécurité sociale. L’éloignement des centres de décision, favorisé par la mondialisation, donnant l’impression que les dirigeants élus n’ont plus de poids sur les grands défis de notre époque : les migrations, la question climatique, la régulation du commerce international, le terrorisme, etc. La volonté de préserver ses acquis dans un monde ressenti comme de plus en plus instable, insécurisant. Mais aussi, complète le philosophe et politologue Vincent de Coorebyter (3), une forme de mépris de la part d’élites politiques, sociales, intellectuelles, culturelles, médiatiques et scientifiques envers les colères et les détresses de certains groupes de la population. Qui, de ce fait, ont l’impression d’être oubliés ou négligés, comme on l’a vu avec les Gilets jaunes.

"Nous existons !"

Que faire face à des tendances de fond aussi lourdes ? Oser aborder les sujets tabous (comme l’immigration), suggère-t-il parmi d’autres pistes, mais d’une façon plus intelligente et plus subtile que les populistes. Pour lui, l’efficacité du tissu associatif et de l’éducation permanente est bien plus grande que celle de la presse, car le temps médiatique est trop court, frontal, moralisateur. L’éducation permanente ? "Un travail où l’on prend les personnes où elles sont, comme elles sont, en groupe, en commençant par leur donner la parole, en leur permettant de se retrouver entre elles, de se sentir enfin prises en considération, pour déconstruire progressivement leurs stéréotypes et leurs angoisses et co-construire des alternatives au populisme." Dans la même veine, l’historien et sociologue français Pierre Rosanvallon propose d’"inventer des modes de représentation afin que les expériences sociales et les épreuves prennent leur place dans le débat public. Parce qu’être représenté (NDLR : par un élu politique), ce n’est pas seulement avoir un délégué : cela veut dire que les problèmes que je vis existent, qu’ils comptent pour quelque chose dans la société, qu’ils sont mis sur la table et qu’on peut en discuter." (4)

Vœux pieux ?  Pas nécessairement. Ces nouveaux modes de représentation, ces tentatives de renouvellement démocratique, commencent à émerger sous la forme de panels citoyens, conseils consultatifs, etc. Feront-ils leurs preuves ? Ce serait, alors, la confirmation de ce qu’avance avec audace Léonie de Jonge. "Le populisme n’est pas le signe que la démocratie est en crise, que notre système ne fonctionne pas. Il est plutôt le signe que l’on revient à l’essentiel : plus de fragmentation (NDLR : dans l’espace électoral), c’est plus de débat, la recherche de consensus, les allers-retours, les discussions. Le signe que la démocratie est bien vivante. C’est sain."


 

(1)    "Des experts préfacent 2020 : 'Il ne faudra ni banaliser, ni ignorer l'extrême-droite'", Le Soir, 2 janvier 2020

(2)    Le Peuple contre la démocratie, Yascha Mounk, Éditions de l’Observatoire, 2018

(3)    Contraste, Les analyses du Crisp, mars/avril 2019

(4)    "Pierre Rosanvallon : 'Les populismes prétendent être une forme supérieure de démocratie'", Le Soir, 9 janvier 2020

 

À lire aussi : Entre démocratie et populisme, 10 façons de jouer avec le feu, Guillaume Lohest, Éd. Couleurs livres, 2018