Vivre ensemble

Prendre soin des cimetières

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Catherine Daloze

Catherine Daloze

"Apprendre à vivre, c'est apprendre à mourir. Les sages nous l'ont enseigné, seriné. Cependant, ni la mort, ni le soleil ne se regardent en face. Aucun doute, la mort affrontée, la mort à laquelle on acquiesce offre à l'existence son surcroît d'élan et de fougue". Par ces mots, la poétesse Colette Nys-Mazure saluait en 2010 une "pendaison de crémaillère" d'un genre particulier. Celle d'une pierre tombale pour un homme bien vivant, soucieux du patrimoine funéraire et désireux de préparer sa sépulture(1).

Dans notre société moderne, voilà qui relève pratiquement du tabou. La mort, on évite d'en parler, de la montrer. On tente de l'oublier. Elle n'en est pas moins absolument inévitable et finalement partie intégrante de la vie. Quoi qu'il en soit, elle impose aux collectivités de se pencher sur la gestion de ses morts comme de ses vivants.

Un domaine public

Si les sépultures relèvent de concessions privées et de la responsabilité des familles, les communes sont en charge des espaces publics que sont les cimetières. De récents décrets au niveau régional wallon (2009 et 2014) les incitent à rétablir une gestion dynamique de ce domaine, comme elles gèreraient un quartier de leur territoire. Car nombre de cimetières étaient pratiquement tombés dans l'oubli. La Région bruxelloise n'a pas encore voté de décret régional, mais compte s'inspirer de ce qui se passe en Wallonie.

Des lieux oubliés ?

On comprend, à entendre Xavier Deflorenne de la Cellule de gestion du patrimoine funéraire en Wallonie, que l'histoire des mentalités n'est pas étrangère à la manière de considérer ces lieux d'inhumation et de mémoire. Ainsi par exemple, la Deuxième Guerre mondiale et ses quelque 60 millions de morts semblent avoir provoqué un rejet de la mort, comme si on voulait l'éloigner. La fusion des communes a mis à mal l'administration des cimetières – quelque 3.500 en Wallonie et 25 en Région bruxelloise.

Aujourd'hui, par contre, on peut constater comme un mouvement de sollicitude pour ces lieux dédiés aux défunts. Les visiteurs se feraient moins rares dans les allées, qu'ils viennent saluer un proche décédé, se recueillir, découvrir une partie de l'histoire locale, un coin de pay sage... Des tombes se remplissent d'objets, autant de signes visibles d'un passage sur le site. Surtout, la détermination de quelques-uns – dont Xavier Deflorenne – engage à reprendre en considération ces lieux abandonnés.

La récente législation incite les communes à ré-envisager leur manière de considérer ces lieux, ainsi qu'à s'adapter à notre époque où l'inhumation n'est plus la seule voie choisie, où différentes convictions religieuses et philosophiques se côtoient, où la préservation de l'environnement est à l'agenda (lire ci-dessous), etc.

En phase avec notre époque

Les pratiques évoluent. Il s'agit dès lors d'en tenir compte dans les infrastructures funéraires. Columbariums – édifices destinés à recevoir les urnes – et zones de dispersion des cendres voisinent avec les aires d'inhumation. Des parcelles dites des étoiles sont aussi aménagées pour accueillir les foetus décédés entre le 106e et le 180e jour de grossesse. Par ailleurs, des parties entières de cimetières sont laissées à l'abandon, faute de gestion des fins de concession. Des ossuaires sont conçus pour préserver les ossements exhumés des tombes dont la concession a expiré.

Comment apporter davantage d'humanité aux alignements de petits casiers où se logent urnes et cercueils ? Comment éviter que les aires de dispersion ne se muent rapidement en un sol fatigué ? Comment envisager des alternatives à l'extension perpétuelle de la surface cinéraire ? Comment préserver le patrimoine funéraire qui est riche de pierres bleues belges ou de schistes ardennais, d'art déco, de monuments en souvenir d'hommes et de femmes qui ont marqué l'histoire…?, se demande Nicolas Servais, chargé de mission chez Ecowal pour conseiller les communes en matière de gestion écologique des cimetières. Ces préoccupations et bien d'autres, le législateur a dû les considérer et les communes se doivent aujourd'hui d'y veiller.

Une responsabilité partagée

Les acteurs sont nombreux, de l'aménagement du territoire au patrimoine en passant par les travaux ou la propreté publics. Dans ce maillage où la transversalité est de rigueur, le métier de fossoyeur est à reconsidérer comme une profession experte et précieuse. Et Xavier Deflorenne d'évoquer la mise sur pied de formations spécifiques.

La période de la Toussaint est critique pour les gestionnaires de ces lieux de recueillement et de mémoire particulièrement délicats à gérer tant la charge symbolique qui les entoure est importante. La période est aussi propice à rappeler que les agents communaux ne sont pas les seuls responsables du visage qu'affichent nos cimetières. Tout un chacun est partie-prenante – au travers de la manière dont nous considérons, entretenons et fréquentons ces lieux.


Nos dernières volontés

Nos dernières volontés en matière de mode de sépulture, de rite confessionnel ou non pour nos obsèques peuvent être enregistrées à la commune.

Toute personne peut ainsi faire un choix quant au mode de sépulture qu’elle souhaite parmi les possibilités suivantes :

  • inhumation de notre corps ou de nos cendres dans l'enceinte du cimetière ;
  • dispersion de nos cendres sur la parcelle du cimetière réservée à cet effet ou en mer territoriale belge ;
  • placement de nos cendres dans le columbarium du cimetière ;
  • conservation de nos cendres par une personne choisie ;
  • dispersion, inhumation de nos cendres dans un endroit autre que le cimetière. Cet endroit "autre" ne peut pas être un espace qui relève du domaine public. Ainsi les ruisseaux ou cours d'eau ne peuvent accueillir la dispersion des cendres ou l'inhumation d'urnes. Une circulaire aux bourgmestres indique aussi que "lorsque la dispersion des cendres ou leur inhumation a lieu dans un endroit autre que le cimetière qui n'est pas la propriété du défunt, une autorisation écrite du propriétaire du terrain préalable à l'inhumation ou la dispersion est obligatoire".

Bien entendu, la démarche d’enregistrement de ces dernières volontés n'a rien d'obligatoire mais elle a le mérite de rappeler les différentes options autorisées.

Vers plus de nature dans les cimetières

Pas de choix : à l'échelle de l'Europe, il est décidé de "parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable". Entendez : s'en passer. Voilà qui concerne les parcs et les jardins publics, les voiries, les terrains de sport. Mais aussi les cimetières. Et ceux-ci ne sont pas les derniers en matière d'élimination chimique des "mauvaises herbes".

Aux réglementations nationales et régionales, la charge de s'aligner sur la décision européenne. Cela se traduit notamment par l'interdiction d'user de pesticides dans tous les lieux publics à l'horizon 2019. En cause : les risques pour la santé humaine et l'environnement.

Or, nombre de cimetières ont aujourd'hui des allures très minérales. Graviers crissant sous le pas des cortèges qui accompagnent les défunts vers leurs dernières demeures, entretombes dallées, petits cailloux qui jouxtent les stèles de pierre ou de marbres…, les cimetières se donnent très souvent une apparence soignée et proprette à coup d'herbicides.

Afin d'accompagner l’objectif "zéro pesticides", divers acteurs se mobilisent. Exemples : le Réseau Wallonie Nature avec l'aide de l'ASBL Ecowal soutient la reconnaissance et le développement de "cimetières natures". L'association Apis Bruoc Sella, avec le soutien de Bruxelles Environnement, organise un cycle de conférence-formation sur les "espaces publics sans pesticides".

Aux yeux de ces acteurs, l'évolution de la législation est une opportunité pour repenser la gestion des cimetières. Il ne s'agit pas seulement de se passer d'herbicides, fongicides, insecticides et autres biocides. Comme l'explique Catherine Hauregard du Réseau Wallonie Nature, il est utile d'aller plus loin que le seul entretien sans pesticides, que l'usage par exemple de brûleurs thermiques pour désherber. On peut enherber de manière volontaire les allées, les zones d'extension ou encore les entre-tombes, se soucier de garantir davantage de biodiversité, favoriser la végétalisation des tombes...

Aux portes de la Toussaint, certains cimetières wallons se verront décerner un label "cimetière nature". Les critères de labellisation – qui comporte 3 niveaux – montrent bien la dynamique à l'oeuvre. Dans les critères de niveau 1, sont requis par exemple :

  • la végétalisation des surfaces aménageables et une végétation aussi variée que possible ;
  • l'installation d'un hôtel à insectes ou d'un nichoir, d'un dortoir pour chauve-souris… en bref un espace d'accueil d'espèces sauvages ;
  • un plan de gestion différenciée des surfaces herbacées ou le fauchage tardif ;
  • le paillage ou l'utilisation de plantes couvre-sol pour éviter de laisser le sol à nu ;
  • la mise en place de poubelles sélectives pour les citoyens… Avec des boni pour la gestion du bruit, l'inventaire du patrimoine funéraire et nombre d'autres critères. De Wierde ou Tintigny (niveau 1) en passant par Baulers et Froidchapelle (niveau 2) jusqu'à Tournai Sud et Lasne (niveau 3), quelque 35 cimetières participent à cette première phase de labellisation (retrouvez la liste ci-dessous).

Pour Gauthier Fontaine, responsable des espaces verts à Tournai, le défi se trouve dans les moyens à mobiliser et dans la communication vis-à-vis des citoyens : "L'esthétique de ces espaces est importante. Il faut montrer qu'on ne les laisse pas à l'abandon". En somme il s'agit d'accompagner le changement tout en respectant les cultures locales. Et de tendre vers un peu plus de préoccupation jardinière, comme on en rencontre dans les cimetières en Allemagne ou dans les cantons de l'Est. Il s'agit d'accepter aussi que cela soit progressif.



Les 10 communes pilotes et les cimetières pressentis par la Labellisation

Commune

Cimetière

Label préssentis

Enghien

Labliau

3

Marcq

2

Petit-Enghien

2

Fléron

Magnée

1

Froidchapelle

Froidchapelle

2

Boussu-lez-Walcourt

1

Erpion

1

Fourbechies

1

Vergnies

1

Huy

Neuville

3

Solières

2

Lasne

Ohain

3

Couture (ancien)

3

Couture (ancien)

3

Lasne

3

Maransart

3

Plancenoit

3

Chapelle

3

Namur

Gelbressée

3

Marche-les-dames

2

Wierde

1

Lieves-sur-Meuse

1

Nivelles

Bornival

2

Baulers

2

Tenneville

Laneuville-au-Bois

3

Journal

2

Champlon

1

Erneuville

1

Cens

1

Tenneville

1

Tournai

Tournai Sud

3

Blandain

1

Froidmont

1

Tintigny

Tintigny (ancien)

3

Tintigny

1