Vivre ensemble

Offrir d'être un festivalier comme les autres

6 min.
"La plupart des festivaliers comprennent que nos copains veulent vivre le festival comme les autres. Ils s'excusent et bougent en deux temps trois mouvements." © M. Cornélis
Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

À l'ombre des feuillages, derrière le public mais pas trop éloigné de la scène, une estrade accueille une vingtaine de festivaliers. Installés sur la plateforme accessible par une rampe d'accès, Philippe, Gabriella, Michaël, Maxime… profitent pleinement de la fin du concert de Luke, un groupe de rock français. Les têtes balancent, les bras s'agitent, certains martèlent dans les airs le rythme de la batterie. Leurs visages égayés indiquent le plaisir qu'ils ont d'être présents à cet événement d'ampleur. Aussi, celui d'être bousculés par les riffs de guitare, d'être stimulés par la musique rock.

Dernier mot de l'artiste avant de quitter la scène sous les applaudissements : "Sois fière, la Belgique. Sois libre. Restez comme vous êtes !". Cette phrase résonne particulièrement aux oreilles des vacanciers d'Altéo, mouvement social des personnes malades, valides et handicapées.

Une présence rassurante

Sur l'estrade, ceux-ci ne sont pas seuls. Chacun est accompagné d'un volontaire qui passe la semaine en sa compagnie. Certains nécessitent une aide à la mobilité, un coup de main pour être orienté sur le site du festival, ou simplement une présence rassurante. La fin du concert de Luke est l'occasion d'observer l'absolue nécessité de leur présence. Pour rassembler leurs affaires, pour pousser les "chaisards" à travers la foule.

Après la scène "Sabam", direction la scène "Proximus". En descendant l'estrade, les volontaires récupèrent les drapeaux à l'effigie d'Altéo qu'ils fixent sur les chaises roulantes pour éveiller la vigilance des autres festivaliers. Ils se retroussent les manches et s'apprêtent à avancer jusqu'à l'espace réservé aux personnes à mobilité réduite (PMR) du prochain concert. De la force physique est requise. Mais aussi de la force de conviction… Car suggérer aux festivaliers distraits de s'écarter des bandes de caoutchouc réservées au transport des moins valides peut parfois être désespérant.

"La plupart comprennent que nos copains veulent vivre le festival comme les autres, indique une volontaire. Ils s'excusent et bougent en deux temps trois mouvements. D'autres, c'est exceptionnel, ont l'air surpris, grimacent… Ils ne comprennent pas pourquoi un espace devrait leur être réservé."

Une aide à la mobilité, un coup de main pour être orienté sur le site du festival, ou simplement une présence rassurante.

"On s'attache…"

Derrière la scène s'étale en grand le nom du groupe qui s'apprête à y monter : Hollywood Porn Stars. Cette fois, c'est du rock belge. Après quelques mesures à peine viennent les premiers gestes de soutien à la musique de ce groupe que certains semblent apprécier : les mains clapent, les têtes hochent…

Le concert se déroule sans encombres. Philippe, installé dans sa chaise roulante, un chapeau aux couleurs de la Belgique sur la tête, regrette que les paroles ne soient pas assez compréhensibles. Aussi, qu'il n'y ait pas plus de chanteuses au programme aujourd'hui. "Je sais où trouver des filles : au Crazy Horse ! C'est où et quand le spectacle du Crazy Horse ?", demande-t-il, blagueur, en feuilletant le programme. José, son accompagnant, lui propose de s'éloigner un peu de la foule et d'aller prendre un verre au calme.

À 70 ans, retraité du secteur de la mécanique, l'homme n'avait jamais pensé devenir bénévole parce que, selon ses mots, "le nursing, c'est pas mon truc". Pourtant, depuis qu'il y a mis un pied en 1998, il s'investit à 100% ! Se contente-t-il des Francofolies ? "Neni ! Je fais trois séjours par an d'une semaine. J'ai été secrétaire, trésorier et barman de la locale Altéo de Blegny (province de Liège)." Aujourd'hui, il organise des cours de cuisine pour les membres d'Altéo.

Ce que ça lui apporte ? "Ça me nourrit moralement. Le contact est très enrichissant. C'est beaucoup plus intéressant que de rester à la maison ! Et puis… on s'attache à des imbéciles comme lui…", conclut-il avec un signe de la tête vers Philippe. Leur complicité est évidente. Sur la terrasse d'un café de Spa, ils prennent le temps de discuter comme deux copains. Puis reprennent la route, l'un assis alors que l'autre le pousse…

De la musique, encore et encore…

De retour devant la scène, volontaires et vacanciers prennent le temps de manger un bout. Le jour tombe et laisse place aux illuminations scéniques d'un autre groupe belge : Ghinzu. John Stargasm et sa bande enflamment le public et ravissent les festivaliers d'Altéo qui, pour la plupart, découvrent le groupe, de retour sur scène après cinq ans d'absence.

Plus tard, lessivés par les distorsions et les stroboscopes, nous pensons voir poindre le terme de la soirée. C'est sans compter sur Marka qui va débuter sa prestation. Sur la route, une pause-pipi est nécessaire. Question espace, les toilettes PMR sont adaptées. Pour l'éclairage, par contre, ce n'est pas encore ça… Les bénévoles soulagent ceux qui doivent s'y rendre en éclairant le lieu au GSM.

Marka, c'est encore du belge. Cette fois, le registre est plutôt "français-populaire-guinguette". Le chanteur est bien connu des gais lurons de la guindaille étudiante. Les vacanciers ne veulent pas rater l'occasion d'être bien placés car, sur la scène du Parc, il n’y a pas d'estrade. C'est finalement au pied de la scène qu'ils s'installent pour vivre le concert à 100%. Une heure et demi de show auront incontestablement marqué les esprits des vacanciers. "Marka, c'est le meilleur !", entendons-nous alors sur le chemin du retour vers le domaine de Nivezé, quartier général de ce séjour. Le centre de convalescence et de séjours de la Mutualité chrétienne se trouve tout au plus à 3 kilomètres de Spa.

Entracte

À Nivezé, la salle du petit déjeuner est plus propice à la discussion qu'un site de festival où le bruit est omniprésent. Yves et Alicia papotent devant leur tasse de café. Ces deux vacanciers vivent en couple, et l'une est plus adepte de la chanson française que l'autre… "Moi, j'écoute de la musique classique, de l'opéra… Je suis là pour accompagner 'madame'", affirme Yves. Alicia confirme qu'elle est une grande fan de chanson française : "Je chante Garou, j'adore Lara Fabian ! Je les suis depuis de nombreuses années. Ils me libèrent, m'offrent de bouger, de m'exprimer…". "Les Francofolies, quand on commence, on ne sait plus s'arrêter, conclut son mari, expérimenté en la matière puisqu'il vit sa 6e édition. C'est l'occasion de revoir des gens qu'on ne voit pas ailleurs."

Dans le réfectoire, les vacanciers partagent leurs souvenirs de concerts. Certains évoquent avec nostalgie celui de Pascal Obispo, d'autres se réjouissent de voir Zazie ce jour. Un quizz musical pour se mettre en jambes est organisé. "Vous comprenez maintenant pourquoi on est bénévoles ?, demande José alors que nous nous apprêtons à partir. Beaucoup de gens autour de nous disent que nous avons du courage, que eux ne sauraient pas… Ont-ils déjà essayé ? Ils ne savent pas à quel point la relation est forte, à quel point ça fait sens d'être ensemble !"

Rencontrer les besoins de chacun

Les organisateurs des Francofolies ne lésinent pas sur les moyens pour rendre l'événement accessible aux personnes porteuses d'un handicap. Traduction en langue des si gnes de certains concerts, installation de boucles à induction pour améliorer la performance des appareils auditifs, mise à disposition de parkings, de voies d'accès, d'estrades, de toilettes réservées aux personnes à mobilité réduite… Le festival est accessible à tous les publics.

Cette année, avec le soutien du Ministre wallon de la Santé, Maxime Prévot, une journée "100% accessibilité et intégration" était planifiée. Elle a permis aux festivaliers d'œuvrer de façon concrète à l'intégration du public moins valide en facilitant leur participation et leur présence sur le site du festival.

Ainsi, Fanny s'est trouvée confiante pour délaisser l'estrade réservée aux PMR pour vivre le concert de Kendji Girac à fond. "C'était formidable d'être avec la foule", dit-elle avec une voix à peine audible, marquée par trois jours de festival. Anaïs n'en croit toujours pas ses yeux : "J'accompagne Fanny en festival avec Altéo depuis cinq ans. C'est la première fois que je la vois se lever, danser, sauter pendant un concert. Ça m'a ému de la voir extérioriser tout le plaisir qu'elle reçoit de l'artiste." Larmes de joie à la clé.

Le "bon" volontaire

Altéo organise des séjours aux Francofolies de Spa depuis neuf ans. Cette idée folle s'est muée en un incontestable succès. Notamment grâce aux bénévoles.

"En 2007, se remémore Nicole Derwael, coordinatrice du séjour, les jeunes voulaient faire les Francos. On ne pensait pas avoir de volontaires en suffisance. On a commencé par un jour, puis deux…" Aujourd'hui, 23 volontaires accompagnent 34 vacanciers durant toute la durée du séjour. Ils doivent être capables de "résister à la fatigue, de tout faire pour leur vacancier, et de se respecter ainsi que la personne qu'ils accompagnent". La résistance, Nicole connaît ! La nuit dernière, elle devait conduire un vacancier à l'hôpital. "Un calcul aux reins… Je n'ai dormi qu'une heure cette nuit-là…"

"Le contact humain est extra, souligne Martine, une volontaire qui vit ses deuxièmes Francofolies. J'avais peur du handicap alors qu'aujourd'hui je découvre tous les jours les richesses des personnes handicapées. Elles sont très réalistes sur la situation dans laquelle elles sont." Martine n'aime pourtant pas la foule. Et la musique, c'est pas son "truc". "Mon bonheur, c'est de voir les vacanciers heureux lors des concerts. Je ne regarde pas les artistes, je les regarde eux !"

Avec une tasse de café, Nicole reprend un peu d'énergie. "Comment faites-vous pour tenir le coup ?", ose-t-on demander. "Je ne le sais pas moi-même…", répond-elle en souriant. Être aux autres semble la reposer davantage qu'une nuit de sommeil…

Pour en savoir plus ...

Plus d’infos sur les séjours organisés par Altéo, avec le soutien de la Mutualité chrétienne : www.alteo.be • 02/246.47.87