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"Travail associatif" : les associations voient noir

3 min.
Léopold Darcheville, Jean-Baptiste Dayez et Mathieu Stassart

Léopold Darcheville, Jean-Baptiste Dayez et Mathieu Stassart

En 2015, l'existence d'une "zone grise" entre le volontariat et l'emploi a été pointée par le Conseil supérieur des volontaires (CSV). Le CSV, c'est l'organisme qui, entre autres, conseille le gouvernement sur les questions liées au volontariat. Dans cette "zone grise", on ne se trouve ni dans le cadre de l'emploi ni dans celui du volontariat, dans la mesure où les défraiements dépassent les plafonds légaux (1.361,23 euros par an). C'est notamment le cas dans le monde du football amateur. Pour pallier ce problème, le CSV s'est penché sur la question à la demande de la ministre fédérale des Affaires sociales Maggie De Block. Il a recommandé la création d'un statut intermédiaire ("semi-agoral"). Ce statut prévoyait notamment que la prestation devait être effectuée en dehors du secteur commercial ; que l'indemnité était imposable (mais exonérée de cotisations sociales) et que la personne devait faire valoir des droits sociaux via une autre activité professionnelle principale.

En octobre dernier, le gouvernement fédéral a traduit ces recommandations dans un projet de loi sur le "travail associatif". Ce projet est centré sur une nouvelle forme de travail rémunéré. En réalité, le plafond légal de défraiement des volontaires est relevé de 1.361,23 euros à 6.000 euros par an. Sont concernés : toute personne travaillant (salarié ou fonctionnaire) au minimum à 4/5 temps, les indépendants à titre principal, les pensionnés et les jeunes en service civil. À la différence de ce qui était recommandé par le Conseil supérieur des volontaires, ce projet du gouvernement ne prévoit plus aucune cotisation sociale ni imposition.

Au départ, la "zone grise" entre bénévolat et emploi concernait surtout deux milieux : le sport et la culture. Tous deux faisaient figurent d'exception dans le secteur associatif. Désormais, ils ne sont plus du tout les seuls concernés. Le projet de loi liste 17 secteurs pour lesquels ces nouveaux contrats seront acceptés, que ce soit au sein d'organisations à but non lucratif – cela devient alors du "travail associatif" – ou de citoyen à citoyen.

Nombreuses craintes

Cet élargissement est loin de faire l'unanimité pour diverses raisons soulevées par une série d'acteurs. Le Conseil supérieur des volontaires souligne les différences avec sa proposition initiale. Le Conseil national du travail, lui, rend un avis négatif. les représentations d'indépendants et de classes moyennes voient également le projet d'un mauvais oeil, tout comme des organisations sociales et syndicales. Pour tenter de faire fléchir le gouvernement, une cinquantaine d'organisations ont lancé la campagne "50 nuances de black" (voir encadré). Leurs inquiétudes sont nombreuses, dont la peur de voir la sécurité sociale fragilisée. En effet, la Cour des comptes estime une perte annuelle de 190 millions d'euros. La campagne porte également sur trois autres craintes.

Déprofessionnalisation progressive

Les signataires de la campagne craignent une perte de qualification dans une série de domaines dans lesquels ils se battent pour la professionnalisation : aide aux personnes, santé, accueil de l'enfance, sport, culture…"Un exemple flagrant concerne l'accueil extra-scolaire, explique Yves Hellendorff secrétaire national du non-marchand à la CNE, c'est un secteur dans lequel il y a une exigence de formation. Avec ces contrats, n'importe qui risque de pouvoir exercer comme puéricultrice ou éducateur".

Concurrence déloyale

Outre la déprofessionnalisation, les organisations redoutent également une concurrence déloyale : "Ce projet instaure une concurrence entre travailleurs, d’abord. Pour un même service, par exemple tondre une pelouse, certains paieront des taxes et des cotisations sociales (un entrepreneur de jardin), tandis que d’autres en seront dispensés (le citoyen qui fait cela en plus de son 4/5e). Le second pourra donc appliquer des tarifs bien plus bas." Ensuite, de nombreuses institutions pourraient être tentées d'avoir recours à des contrats de travail associatif plutôt qu'à des contrats de travail en bonne et due forme, assortis – eux – de droits sociaux.

"Ringardisation" du volontariat

Dernière appréhension : une potentielle désaffection du volontariat. Avec ce système, il sera possible de réaliser une même mission comme bénévole ou comme travailleur associatif. Dans un cas, elle sera réalisée gratuitement, dans l'autre, elle sera rémunérée. Dans ce cadre, le bénévolat risque de devenir moins attrayant aux yeux de certains. Et l'engagement gratuit aux services des autres, pourrait être socialement dévalorisé. "Ce sera grave pour l’associatif qui devra supplier pour avoir de vrais volontaires, tout le secteur associatif étant ramené à l'image de petits jobs rémunérés, assène Énéo, le mouvement social des ainés de la MC. Le mélange avec l’économie collaborative renforce l’adhésion à l’idée que l’engagement social correspond à un échange de service tarifé."

À l'heure d'écrire ces lignes, le gouvernement se trouve dans une phase de concertation. Les organisations de "50 nuances de black" veulent, quant à elles, mettre la pression sur le MR pour empêcher l'approbation du projet de loi.

Pour en savoir plus ...

La campagne "50 nuances de black" rassemble une cinquantaine d'organisations sociales, syndicales, médicales, de travail… On y retrouve la MC et ses mouvements socio-éducatifs partenaires Énéo, Altéo et Jeunesse & Santé. Tous ces acteurs incitent à signer une pétition demandant au Premier ministre Charles Michel de retirer le projet. Un spot vidéo reprend également leurs principaux arguments.

>> Plus d'infos : www.50nuancesdeblack.be