Editos

Le vieillissement n'est pas un marché ! 

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Alexandre Verhamme, directeur général de la MC

Alexandre Verhamme, directeur général de la MC

Nous y consacrions notre édito il y à peine plus d'un an : en janvier 2022, le scandale Orpéa éclatait en France. Économies réalisées sur le dos des résidents, repas et soins au rabais, épuisement du personnel poussé à bout, le tout pour maximiser les bénéfices… dans un livre au titre éloquent - "Les fossoyeurs" - le journaliste d'investigation Victor Castanet révélait comment la loi du profit pouvait déraper jusqu'à entraîner des maltraitances graves 

En février, le groupe Orpéa, un géant coté en bourse qui compte un millier d'établissements dans 23 pays, annonçait la fermeture de 10 maisons de repos en Belgique : 7 à Bruxelles et 3 en Flandre. Ces fermetures ne découlent pas directement d'un scandale lié à des cas de maltraitance, comme cela a été exposé dans les Ehpad en France, mais pour cause de "réorganisation". Depuis la publication de l'enquête de Victor Castanet, la situation financière de ce leader du secteur s'est dégradée en même temps que sa réputation. Et depuis la crise du coronavirus, le taux d'occupation des maisons de repos a chuté de manière générale. Aujourd'hui, encore plus qu'hier, entrer en maison de repos fait peur.

La crise sanitaire et le scandale Orpéa ont démontré, une fois encore, la nécessité de transformer ces lieux de soins en des lieux de vie.

 

"Tant que nous ne sommes pas à 90 % de taux d'occupation, nous ne pouvons pas gagner notre vie et nous sommes à 66 %", expliquait Olivier Van Houtte, le CEO d'Orpea Belgique sur les ondes de la RTBF, à propos de ce qui est pudiquement présenté par le groupe comme un "plan de regroupement".  Doux euphémisme pour ce qui représente, pour les quelque 600 résidents concernés, rien de moins qu'un déracinement ! Certes, les résidents seront relogés dans des maisons du groupe. La réglementation bruxelloise prévoit d'ailleurs qu'une maison de repos ne peut fermer qu'à condition de trouver une solution de relogement pour ses résidents sur le territoire dans des conditions équivalentes. Mais changer de maison de repos, c'est aussi quitter un quartier où l'on a parfois bâti une vie, des membres du personnel qui vous ont accompagné pendant des années, des voisins de chambrée et tout un tissu social qui contribue à votre santé.

Face au défi du vieillissement

Le vieillissement de la population, c’est comme le réchauffement climatique: c’est annoncé et en cours. Il faut agir aujourd’hui. À la MC, le bien-être des aînés est au cœur de notre action, que ce soit à travers l'action de nos mouvements, nos activités d'entrepreneur social, ou dans nos combats politiques. À ce titre, il nous paraît essentiel de développer et renforcer tout ce qui participe à favoriser l'autonomie des personnes âgées : aides et soins à domicile, adaptation de l’habitat, téléassistance, convalescence, structures d’accueil de jour... La plupart de ces services affrontent pourtant de lourdes difficultés financières. Pour certains, des réductions de service sont même envisagées quand ce ne sont pas carrément des fermetures, faute de soutien suffisant des pouvoirs publics.

Pour un certain nombre d'entre elles, arrivera un moment où il ne sera plus possible de vivre de manière autonome dans leur logement. À ce moment-là, il est crucial que des établissements d’accueil et d’hébergement pour aînés, de qualité et accessibles financièrement, soient disponibles. 

La crise sanitaire et le scandale Orpéa ont démontré, une fois encore, la nécessité de transformer ces lieux de soins en des lieux de vie et répondre aux besoins exprimés par les personnes âgées : se sentir en sécurité, moins seules, écoutées et prises en considération, rester maîtres de leurs choix et voir leurs proches le plus souvent possibles.  Les maisons de repos doivent aussi s'ouvrir vers le monde extérieur, s'ancrer dans le quartier et le tissu associatif en favorisant les partenariats avec les acteurs locaux (crèches, écoles, potagers collectifs, association d'habitants, etc.) 

L’actualité autour d’Orpéa a démontré les limites sérieuses du modèle lucratif appliqué aux soins de santé et à l’aide aux personnes. Auriez-vous envie de confier vos enfants à une crèche cotée en bourse ? De séjourner dans un hôpital qui fait partie d’une multinationale ? De consulter dans un cabinet dentaire qui doit rétribuer ses actionnaires ? L’enjeu des soins pourrait devenir secondaire par rapport aux enjeux de profit. Et il n’est pas question ici d’un débat relatif à la bonne gestion, ce qui reste une évidence. 

En Région wallonne, la part du secteur privé dans les maisons de repos est limitée par la législation à 50 % des places ; des discussions sont toujours en cours sur les normes de qualité. De son côté, la Région bruxelloise prévoit une ordonnance s’inspirant des mêmes limites pour les places réservées au secteur commercial et d’autres mesures pour améliorer le bien-être des résidents. La MC s'est battue pour ces avancées et continue à se mobiliser pour que demain, entrer en maison de repos ne soit plus un choix contraint. Il est temps d’atterrir et de réguler plus en avant le secteur. La MC en appelle aux responsables politiques pour que les différentes initiatives prises dans la foulée du scandale Orpéa aboutissement et que les recommandations du terrain, des mutualités et des experts se traduisent dans les faits.