Editos

TCE : stop au permis de polluer !
 

3 min.
Le traité sur la charte énergie, un anachronisme climaticide (c) photo Adobe
Le traité sur la charte énergie, un anachronisme climaticide (c) photo Adobe
Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

Entre mer et montagne, la région des Abruzzes, à l'est de Rome, est connue pour ses parcs nationaux. Moins bucolique, elle borde aussi l’un des plus grands gisements pétroliers de la Méditerranée. En 2014, Rockhopper acquiert le permis d’exploiter cette mine d'or noir sous-marine. La compagnie britannique prévoit d’y installer une raffinerie flottante avec tous les risques que cela engendre pour les écosystèmes, la santé, la pêche et le tourisme local. Face à la mobilisation populaire, le Parlement italien décide d’interdire tout projet pétrolier à moins de 18 kilomètres du littoral. Mais Rockhopper a plus d’une armée d’avocats dans son sac. Invoquant le Traité sur la charte de l'énergie (TCE), elle poursuit l’Italie devant un tribunal d’arbitrage privé. Et tant qu’à être cynique jusqu’au bout, le pétrolier ne demande pas seulement à être indemnisé des montants investis, mais aussi de tout ce qu’il aurait pu gagner en exploitant le gisement jusqu’à la dernière goutte. Le jugement est tombé le 24 août 2022 : l’Italie est condamnée à payer plus de 200 millions d’euros !  Pour donner un ordre de grandeur, cela équivaut à environ deux fois et demie le budget des parcs nationaux de France… 

Une scorie du passé 

Au nom du TCE, des pays se sont vus attaqués pour avoir adopté des lois protégeant la nature, planifiant la fin du charbon ou la sortie du nucléaire… Depuis la signature du Traité, plus de 150 plaintes ont été enregistrées. Mais bien souvent, la simple crainte de poursuites suffit déjà à refroidir les gouvernements (Lire En Marche "Énergie : le procès kafkaïen des industries contre l’intérêt public" ).

Pour comprendre comment on a pu aboutir à une situation si ubuesque, il faut se replonger dans les années 90, après la chute de l'URSS. À l'époque, l'enjeu est d'assurer la sécurité d'approvisionnement en énergie et les pays occidentaux veulent protéger les intérêts de leurs entreprises qui investissent à l'Est. Le Traité, signé aujourd'hui par 54 pays, prévoit la création de tribunaux d’arbitrage privé devant lesquels une entreprise peut, sans passer par la justice nationale, attaquer un État. 

En 2007, la Hongrie s'est vue attaquée par Electrabel pour sa politique visant à faire baisser le prix pour les ménages précarisés.

À l’époque, les changements climatiques sont encore loin des préoccupations et personne ne se doute que cet accord commercial va devenir une arme juridique redoutable contre les politiques publiques. À l'heure de la crise énergétique, l’enjeu est tout aussi social. Pour mémoire, en 2007, la Hongrie s'est vue attaquée par Electrabel pour sa politique visant à faire baisser le prix pour les ménages précarisés. Si l'entreprise n'obtint pas gain de cause, ce cas démontre une fois de plus le potentiel de nuisance du Traité : "La crise de l’énergie que nous connaissons demande une action vigoureuse des États et de l’Union européenne pour réguler le prix de l’électricité et du gaz. Or, il existe un sérieux risque que ces derniers soient attaqués sur la base du TCE, du fait de certaines mesures d’intérêt public", pointe Renaud Viven, chargé de plaidoyer pour Entraide et Fraternité, dans une analyse récente

#ExitTCE  

Une procédure de modernisation du Traité est en cours. Après 15 rounds et deux ans de négociations, l'accord sera présenté ce 22 novembre en Mongolie. Mais les avancées proposées restent largement insuffisantes pour répondre à l'urgence climatique. Un délai de dix ans est prévu pour mettre fin à la protection des investissements existants dans les énergies fossiles après l’entrée en vigueur du Traité modernisé. Sans compter que la ratification peut elle-même prendre plusieurs années. Au printemps, le GIEC sonnait l'alarme : pour limiter le réchauffement à 1,5 °C d'ici la fin du siècle, seuil au-delà duquel nos capacités d’adaptation pourraient être sérieusement mises à l’épreuve, les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent décroître dès 2025 ! 

Diabolique jusque dans ses moindres détails, le Traité prévoit qu’un pays signataire peut encore être poursuivi pendant 20 ans après sa sortie ! 

La plateforme pour un commerce juste et durable coordonnée par le CNCD, à laquelle la MC participe, plaide dès lors pour un retrait collectif du Traité. À l'heure de boucler ces lignes, la Pologne, l’Espagne, les Pays-Bas, la France, la Slovénie et l’Allemagne ont déjà annoncé leur intention de quitter le TCE. Diabolique jusque dans ses moindres détails, le Traité prévoit qu’un pays signataire peut encore être poursuivi pendant 20 ans après sa sortie ! Mais cette clause pourrait être neutralisée en grande partie via un accord entre les États sortants pour ne pas s’attaquer entre eux.  

Hasard de l'actualité, au même moment dans En Marche, nous vous racontons comment le groupe français Total voit son projet de pipeline en Ouganda poursuivi devant un tribunal parisien au nom de la loi sur le devoir de vigilance. Cette loi, adoptée notamment par la France, permet de poursuivre une entreprise nationale en cas de violation des droits humains et environnementaux. Deux époques, deux lois. Celle qui fait primer les intérêts mercantiles sur le bien-être collectif ne devrait appartenir qu’au passé.