Soins de santé

Médecines douces: pour le meilleur et  le pire

6 min.

Fabienne souffre d'un psoriasis sévère, une maladie chronique de la peau. Après dix ans passés à enchaîner les rendez-vous avec les dermatologues, sans amélioration, elle se lance un défi audacieux : tester sans exception tous les remèdes qui lui seront recommandés pendant deux ans ! Magnétisme, chamanisme, transe hallucinogène, pommades africaines et même bave d’escargot… Une aventure qu’elle raconte dans "À fleur de peau", une série de podcasts tragi-comiques à écouter sur Arte Radio. À côté de ces expériences peu concluantes, qui auront surtout soulagé notre réalisatrice de quelques billets de banque, les médecines dites "douces", trouvent de plus en plus leur place dans le système de santé conventionnel. En effet, certaines peuvent améliorer le bien-être des patients, voire les soigner. Elles permettent aussi d’éviter des médications inutiles, et de réduire des coûts en soins de santé grâce à une approche préventive. Au bloc opératoire, l’hypnose est utilisée pour diminuer le recours aux anesthésies. L’acupuncture est proposée aux patients en oncologie pour atténuer certains effets secondaires des traitements contre le cancer. À Bruxelles, le CHU Brugmann propose des casques de réalité virtuelle pour traiter les phobies

L’attrait pour les approches dites 'douces' répond à une volonté de retourner vers une médecine qui soigne des personnes et pas que des maladies. G. Ninot

L'OMS, qui a récemment annoncé la création d'un Centre mondial des médecines traditionnelles, recense plus de 400 médecines dites traditionnelles, alternatives ou complémentaires à travers le monde. Et la demande pour ce type de pratiques ne cesse de croître, observe Gregory Ninot, auteur du récent ouvrage 100 médecines douces validées par la science. Essor des biotechnologies, médicaments innovants, chirurgies de pointe… Ce que la médecine a gagné d'un côté en progrès technologiques, elle l'a parfois perdu de l'autre dans sa dimension relationnelle. "L’attrait pour les approches dites 'douces' répond à une volonté de retourner vers une médecine plus humaine, qui soigne des personnes et pas que des maladies", commente Gregory Ninot, professeur à l’Université de Montpellier et codirecteur de l’institut Desbrest d’épidémiologie et santé publique. Dans un contexte où les maladies chroniques explosent, cette demande répond aussi à un besoin des patients de s'approprier leur traitement à travers des solutions individualisées. "Les applications pour téléphones mobiles, les cours en ligne et d’autres technologies ont remis la médecine traditionnelle au goût du jour", constate également l'OMS en ce sens.

Gare au gourou 

Médecines douces, complémentaires, traditionnelles, non conventionnelles, alternatives, intégratives, naturelles… Le champ lexical pour qualifier les pratiques qui sortent du cadre de la médecine classique est aussi vaste que les ambiguïtés et les débats que ce vocabulaire suscite. Moins familier, le terme "intervention non médicamenteuse (INM)" émerge auprès des acteurs de santé. Pour Gregory Ninot, cette notion d’intervention a le mérite de traduire l’idée d’un protocole précis s'appliquant à un diagnostic précis. "Je n’affirme pas que l’acupuncture est un remède universel, mais qu’un protocole particulier a fait la preuve de son rapport bénéfices-risques contre les vomissements et les nausées induites par les chimiothérapies prescrites aux malades du cancer", prend-il comme exemple. Le protocole doit détailler les mécanismes d’action, les méthodes d’administration, les précautions à prendre, l’intervenant professionnel formé pour l’administrer. Lorsque vous rencontrez un praticien, soyez exigeant, encourage Gregory Ninot, posez-lui des questions : "Quels processus psychologiques et mécanismes biologiques expliquent l’effet de cette méthode ? Quelle est son indication principale ? Suis-je un bon répondeur probable ? Quelle est la posologie ? Sur quelle durée ? Dans quel lieu s’effectue cette pratique ? Quelles sont les précautions à prendre ? Quels risques d’interaction existent-ils avec d’autres traitements ?

Il ne suffit pas de montrer des solutions qui ont l’air de fonctionner, il faut démontrer leur efficacité et leur innocuité. G. Ninot

Car, quels que soient les noms qu'on leur accole, les médecines douces peuvent malheureusement être un terrain propice aux tentatives d'escroquerie et aux dérives sectaires. En France, en 2019, 38 % des signalements auprès de la Miviludes, l'organisme publique chargé de l'aide aux victimes, concernaient la santé. Son équivalent belge, le CIAOSN, ne communique pas de statistiques récentes, mais confirme que la santé prend une place de plus en plus importante dans un "secteur" traditionnellement occupé par les questions religieuses et spirituelles. La crise sanitaire n'est pas étrangère à cette évolution. "L’engouement pour les soins alternatifs n’est pas nouveau : il est né dans les années 1970, avec l’idéologie New Age. Ceci dit, ce phénomène a une visibilité accrue depuis la crise sanitaire : du fait de l’absence initiale de traitement et de la mise au point rapide du vaccin anti-Covid, beaucoup de personnes se sont détournées de la médecine conventionnelle jugée décevante, au profit des pratiques alternatives", contextualise Stéphane François, politologue et historien, dans le magazine de l'Inserm

"Dans le domaine de la santé, le danger est favorisé par la souffrance ou l’inquiétude liée à une maladie, et la confiance accordée au ‘soignant'. Lesquelles fragilisent le patient et l’exposent au risque qu’un pseudo-thérapeute en profite pour exercer une emprise sur lui", poursuit Bruno Falissard. Avec le risque, au bout du compte, de voir des patients perdre des chances de guérison en renonçant à des soins éprouvés. En 2018, une étude publiée dans le Journal of the National Cancer Institute montrait qu'en optant pour un traitement ‘alternatif’ uniquement, le risque de mourir d'un cancer cinq ans après le diagnostic était quintuplé pour le cancer du sein, quadruplé pour le cancer colorectal, doublé pour le cancer du poumon.

 

“Naturel n’est pas sans danger”

Pour détecter les charlatans, trois conseils, résume Gregory Ninot. "Premièrement, vous méfier quand on vous dit qu’un remède soigne tout. Deuxièmement, faire attention quand l'explication est trop simple ou trop fumeuse. Troisièmement, prendre garde aux discours qui progressivement induisent des doutes sur la médecine conventionnelle et vous éloigne de votre médecin."  

Toute thérapeutique engendre des effets indésirables, y compris une médecine douce, rappelle-t-il également. "Naturel ne signifie pas sans danger." Une plante, pour prendre cet exemple, peut s’avérer tout aussi bien inefficace, bénéfique que néfaste en fonction de la dose. Les conditions de récolte et de production influencent fortement ses effets. Elle peut interagir de façon négative avec d’autres traitements (raison pour laquelle il est toujours recommandé de prévenir son médecin).  Si le monde médical est strictement réglementé, ce n’est pas le cas des médecines douces, relève encore Gregory Ninot. "Elles ne sont soumises qu’aux seules lois du commerce et du divertissement. Cette liberté autorise à plagier les codes du domaine de la santé, tout en échappant à la réglementation, donc en s’affranchissant de toute étude clinique préalable, de toute déclaration aux autorités et de toute surveillance des risques."  

 

  

À l’épreuve des faits

"Depuis que j’ai essayé ça, mon bébé fait ses nuits." "J’ai tout tenté pour arrêter de fumer, y a que ça qui marche, je te recommande..." En matière de méthodes alternatives, les patients sont souvent les premiers prescripteurs. Un phénomène amplifié par les réseaux sociaux, devenus un véritable showroom de ces pratiques. "Chaque utilisateur a tendance à valider telle ou telle pratique sur la base de son expérience. Mais il ne suffit pas de montrer des solutions qui ont l’air de fonctionner, il faut démontrer leur efficacité et leur innocuité. Sans informations fiables, le patient en est souvent réduit à multiplier les essais-erreurs", regrette Gregory Ninot. En 2021, il a fondé la Société savante des interventions non médicamenteuses, qui milite pour que ces pratiques soient évaluées scientifiquement et, le cas échéant, mieux intégrées aux systèmes de santé.  

Dans l’industrie pharmaceutique, les essais cliniques permettent de tester l’efficacité de nouveaux traitements en comparant des groupes auxquels ils sont administrés avec des groupes "contrôle" qui reçoivent un autre traitement ou un placebo. Ces essais doivent porter sur un échantillon suffisamment représentatif. Les tests et les résultats doivent aussi être reproductibles – pour être (re)vérifiés. "Le souci est que ces études coutent très cher, un essai peut se chiffrer en millions d'euros. L'industrie pharmaceutique et biomédicale prend en charge les travaux qui les intéressent, car c'est pour elle un investissement. Le reste n'est pas, ou très peu financé, commente Bruno Falissard, directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé à Paris, dans un dossier du Figaro Santé. Dans une société raisonnable, il faudrait mettre des moyens pour 1'évaluation des interventions non médicamenteuses. Il faut mettre de la science là-dedans." Moyennant quelques adaptations, il est tout à fait possible de réaliser des études avec des méthodologies moins lourdes mais toujours rigoureuses, poursuit Gregory Ninot. “Si on regarde des plateformes de publication scientifique comme Pubmed, on constate d’ailleurs que le nombre d’études portant sur ces pratiques est en augmentation constante." Dans son livre, Gregory Ninot nous apprend ainsi que les effets bénéfiques de la musicothérapie sur les troubles du comportement liés à Alzheimer ont été démontrés dans 22 études incluant 1.420 patients. Ou encore qu’une méta-analyse (analyse qui synthétise les résultats de différentes études en recherche médicale) portant sur les données de 34 études confirme l'effet de la lavande sur les insomnies légère. A contrario, le livre s'intéresse aussi aux thérapies qui n’ont pas fait leurs preuves : la sophrologie contre la fibromyalgie, l'auriculothérapie contre l'addiction, les oméga 3 contre Alzheimer.. Une initiative bien utile pour s’y retrouver un peu, mais qui montre encore l’ampleur de la tâche à accomplir pour faire toute la lumière sur cette problém.